A Lakmi ne plaise que je sourie à un avare tel que toi, à un poltron qui meurt de peur si un chacal crie dans la nuit, et qui s’enfuirait jusque dans le Deccan, à cette heure même, si Soupraja Bidji se donnait la peine de venir frapper à la porte ! Quelque jour il arrivera, et, te saisissant par la barbe…
Et la bayadère, s’avançant jusqu’à loucher Chatoun, esquissa même le geste de tirer l’épaisse et large moustache du nabab impassible. Il se contenta de dresser sa main gauche ouverte pour garantir sa face. Et Poumi recula, parce que le cimeterre posé en travers des genoux de Chatoun présentait la poignée précisément sous sa droite.
« D’un seul coup, se dit-elle, il me fendrait en deux moitiés comme un fruit de jaquier. Et je ne suis pas assez sûre de mes jambes pour bondir en arrière quand mes yeux se baisseraient devant l’éclat de l’acier. »
Le rajah continuait de regarder la jeune femme sans que ses traits reflétassent autre chose que la bienveillance amoureuse et leur lourde indifférence habituelle. A voir la retraite maladroite de la danseuse, il sourit vaguement. Et, d’un signe de son index replié, il l’attira vers les coussins où il était accoudé. Poumi, remettant à des temps meilleurs son entreprise, obéit docilement et se tapit près du maître. Mais le fakir avait glissé comme si sa natte le portait. Maintenant elle recouvrait l’ouverture béante de la terrasse, elle paraissait rigide, car elle ne s’enfonçait pas sous le poids du corps accroupi en son milieu. La nuit était devenue plus sombre, et les vêtemens blancs du rajah, les gemmes du cimeterre, les anneaux de Poumi, la natte jaunâtre tachée de noir par la maigre personne du fakir, demeuraient seuls perceptibles, le reste se noyait dans l’ombre. Alors le solitaire harangua le voluptueux Chatoun en ces termes :
— Tu as bien agi, généreux tchatria, en ne prêtant aux propos de cette nautchni qu’une oreille trois fois close par la sagesse, la fierté et le dédain. Tu sais mieux que personne que la principale qualité d’une femme est dans sa simplicité même. Celle-là, d’ailleurs, comme les mouches engendrées par la corruption, est à la fois belle et venimeuse. Elle conspire contre toi. Elle t’a vendu à ton ennemi contre mille pagodes d’or, ce dont elle n’a pourtant que faire ; l’argent, en effet, ruisselle chez elle, puisqu’elle te trompe avec le bazar tout entier…
Mais le yogui cessa brusquement son discours. Le rajah, d’un