avec quelques-unes dont il s’est fait naguère le héraut, ni si, parmi ceux qu’il injurie aujourd’hui, il n’en est pas qu’il encensait hier. Hommes et idées ne changent-ils pas de valeur suivant qu’ils s’accordent ou s’opposent à sa personne ? Surtout il se reconnaît un droit supérieur pour injurier à tort et à travers, et ramasser à destination de ses adversaires toute la boue et toutes les pierres du chemin. C’est ici que le doute ne l’effleure même pas. Cette assurance fait sa force et cet emportement son éloquence. Cependant, à l’appel de cette voix enflammée, s’éveillent les images, tantôt sombres et tantôt gracieuses. C’est une merveilleuse ouvrière de poésie que la passion, et la passion ici parle toute pure, et cette passion irraisonnée, débordante et naïve fait bien de la satire politique une des applications directes du lyrisme.
On a vu souvent dans la conception de la Légende des Siècles un effet des tendances nouvelles qui, vers le milieu de ce siècle, font entrer le réalisme et l’impersonnalité dans notre littérature. Cette vue n’est qu’en partie exacte. Que d’ailleurs Victor Hugo, parce qu’il était homme de génie et que le génie a ses intuitions, ait eu d’heureuses trouvailles qui valent même comme résurrection du passé, cela n’est ni contestable ni surprenant. Mais on sait déjà par ce qu’il en a mis dans ses drames quelle est l’attitude de Hugo vis-à-vis de l’histoire. L’étalage qu’il fait de son érudition suffirait presque à faire foi de sa complète ignorance. Il ignore l’histoire et il ne se soucie pas de la connaître : il n’a besoin ni de l’étudier ni de la comprendre, puisqu’il l’invente. Il projette à travers le temps son imagination. Celle-ci procède par grands partis pris d’ombre et de lumière. L’ombre est pour lui le mal et la lumière est le bien. Les deux principes sont en lutte, mais, pour le tempérament optimiste de Victor Hugo, il faut que finalement le bien l’emporte. Cette lutte des deux principes, Victor Hugo va la rendre sensible par une série de scènes don, il crée à sa fantaisie les personnages, l’encadrer dans une succession de décors dont il compose à son gré les lignes et les couleurs. Et l’histoire se changera en cette fantasmagorie où des tyrans monstrueux succombent sous la main de justiciers énormes, où l’humanité, par une série d’épreuves et d’expiations, fait son ascension vers le bien. On se demande où le poète a trouvé cette histoire pleine de héros et de traîtres : elle est sortie tout armée de son cerveau. Elle ne concorde pas avec les faits, mais elle s’apparie à ses vues ; à ses haines et à ses sympathies. Du droit de son lyrisme, Victor Hugo crée l’histoire pour s’en faire le grand ordonnateur.