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parti. Profondément réactionnaire et rétrograde ; composé d’hommes honorables, mais qui, vivant exclusivement de la terre, sont naturellement portés à croire qu’en elle est toute la richesse d’un pays inquiet et jaloux de la richesse, croissante des industriels de l’Ouest, le parti agrarien est convaincu qu’il est la charpente solide et en quelque sorte l’ossature de l’Allemagne, comme autrefois de la Prusse. En lui est la source intarissable de fonctionnaires, d’officiers, de diplomates, dans laquelle le gouvernement trouve toujours à puiser. Il y a là une force à entretenir et à ménager, nul ne le nie ; mais les agrariens le croient eux-mêmes avec une exagération à laquelle l’Empereur n’est pas éloigné de participer. Quant au comte de Bulow, ses origines le rattachent au parti agrarien, et il a pour lui une inclination naturelle : toutefois, comme chancelier de l’Empire, ses vues doivent s’étendre plus loin. Sa carrière diplomatique l’a mis aux prises avec d’autres intérêts : il s’affranchirait doucement, mais résolument, des liens qu’on cherchait à lui imposer. Lorsque M. de Miquel, il y a quelques semaines à peine, a quitté le ministère, on a cru qu’il y avait là un premier indice de cet affranchissement. M. de Miquel, en effet, d’ultra-radical qu’il était à l’origine, avait évolué continuellement vers la droite réactionnaire et féodale, et avait fini par lui appartenir tout à fait. Il passait, dans le ministère, pour le représentant des intérêts agrariens. C’est sans doute pour d’autres motifs qu’il en est sorti, puisque, après son départ, le même esprit a continué d’y régner, au moins à ce point de vue. M. de Miquel n’aurait pas fait des tarifs plus protectionnistes que ceux de M. de Bulow.

Faut-il croire à l’authenticité d’une conversation qu’un ami de ce dernier aurait eue avec un rédacteur du Pester Lloyd ? D’après cet ami, le chancelier de l’Empire aurait des préoccupations beaucoup plus profondes que celles qu’on lui attribuait. Il s’agissait bien, en vérité, de satisfaire quelques agrariens ! Non : la portée du projet douanier était tout autre. L’empire allemand repose sur son armée ; l’armée a besoin de beaucoup de soldats ; pour qu’elle ait beaucoup de soldats, il faut que les agriculteurs, qui composent la grande masse de la population, soient assez riches pour faire et pour élever beaucoup d’enfans. Est-ce là, comme le croit le rédacteur du Pester Lloyd, la pensée secrète de M. de Bulow ? On nous permettra d’en douter. D’abord, il n’est pas prouvé que les paysans aient plus d’enfans à mesure qu’ils sont plus riches. Ensuite, ce ne sont pas les paysans que les tarifs douaniers peuvent enrichir, mais un petit nombre de propriétaires. Enfin, personne en Allemagne ne craint, pour le moment, de voir la