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intéressant de savoir que, de 1680 à 1900, tandis que douze pièces de Racine donnaient 6 270 représentations, vingt-deux pièces de Corneille n’en fournissaient que 4 717 ? Il est vrai qu’en revanche Molière, lui tout seul, avec trente-deux pièces, n’occupait pas moins de 20 290 soirées. Si maintenant, du total des représentations de Corneille, on retranche 650 représentations du Menteur, et, du total des représentations de Racine, 1 219 représentations des Plaideurs, soit ensemble 1 869, nous avons 4 717 + 6 270 — 1 869 = 9 118 représentations du répertoire tragique, contre 1 869 + 20 290 = 22 159 représentations du répertoire comique. Je ne sais pas si les Anglais ont dressé quelque part une statistique analogue, mais je serais bien étonné que les représentations des drames de Shakspeare fissent un peu moins de la moitié du nombre des représentations de ses propres comédies, et, quand on ajouterait aux siennes celles de Congreve et de Wycherley, de Van Brugh et de Farquhar, de Fielding et de Sheridan, j’incline à croire que c’est encore lui, Shakspeare, qui serait, au point de vue statistique, le Molière des Anglais. Une comparaison encore instructive est celle du nombre des représentations de Regnard, — 5 262 avec onze pièces, — et du nombre des représentations de Voltaire, — 3 950 avec trente et une pièces. — Notons d’ailleurs que, de ce chiffre de 3 950, il faut même retrancher 779 représentations de l’Écossaise, du Droit du Seigneur, de Nanine, de l’lndiscret, de l’Enfant prodigue, qui sont des comédies, et ainsi le total se trouve réduit à 3 171 représentations contre 5 262. L’observation que nous indiquions à peine tout à l’heure se précise : le public français est plus voisin de Molière que de Racine, de Regnard que de Corneille. Il est « gaulois » d’abord, je veux dire dans le sens littéraire du mot ; et la fine, subtile et vivante psychologie de Racine l’attire de préférence à l’héroïsme épique de Corneille. C’est tout juste après cela si l’Espagne du Barbier de Séville et du Mariage de Figaro, — 814 représentations de 1831 à 1900, — ne l’intéresse pas plus que l’Espagne romantique de Ruy Blas et à Hernani, — 871 représentations dans le même laps de temps.

Voici qui est plus curieux encore : c’est de voir l’opinion publique, j’entends celle du « public payant » et qui paye pour avoir du plaisir, faire insensiblement et comme inconsciemment son choix parmi les œuvres de nos grands écrivains dramatiques. Soit, par exemple, le répertoire de Molière : Tartufe vient en tête, avec 2 058 représentations ; le Médecin malgré lui le suit immédiatement, avec 1 592 représentations ; et non loin d’eux l’Avare, avec 1 503. L’École des femmes et le Misanthrope ne donnent, l’une que 1 203 et l’autre que 1 206