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même que la plante est, de (ou les formes de la nature, la plus belle et la plus morale, la vie la plus divine serait une végétation pure… Je me contenterai donc de jouir de mon existence et je m’élèverai au-dessus de toutes les fins de la vie, parce que toutes elles sont bornées et par constjquent méprisables. » Bornée aussi et méprisable est la morale du vulgaire. « Tout ce que la conscience révère, les mœurs, les convenances, les lois, le culte établi, ne sont que des formes sans consistance, un effet passager du moi infini, indignes du respect de l’homme cultivé. » Le sage, s’il consent à s’y conformer, en rit intérieurement ; il n’est pas dupe de prétendues lois créées par sa pensée et que sa pensée peut défaire. Ce que Schlegel dit du philosophe, il le dit aussi de l’artiste. La génialité affranchit l’homme de toutes les sujétions et de tous les préjugés : la vraie vertu est une forme du génie ; le génie seul est vraiment libre, « parce qu’il pose tout lui-même » et qu’il ne reconnaît d’autre loi que la sienne. « Supérieur à la grammaire morale, il peut se permettre contre elle toutes sortes de licences. Pour les natures vulgaires, rien de plus élevé que le travail ; pour le génie, il n’y a que jouissance. La fantaisie, l’imagination créatrice, l’esprit, l’humour, sont une seule et même chose, et cette chose est tout. » Nietzsche ajoutera le rire, le « bon rire, » et non seulement il autorisera les licences contre la grammaire morale, mais il détruira entièrement toute grammaire. Le « Génie » des romantiques sera devenu le « Surhomme » de Goethe et de Nietzsche. — « Quelle pitoyable frayeur, dit Méphistophélès à Faust, s’empare du Surhomme que tu es ? » Nietzsche ne connaîtra pas cette frayeur ; il empruntera à Goethe et le nom et la chose.

Nous retrouvons également le Surhomme chez Schopenhauer. La vie heureuse est impossible : « Ce que l’homme peut réaliser de plus beau, dit Schopenhauer, c’est une existence héroïque ; » une existence où, après s’être dévoué à une cause d’où peut résulter quelque bien d’ordre général, après avoir affronté des difficultés sans nombre, il demeure finalement vainqueur, mais n’est récompensé que mal ou pas du tout. Alors, au dénouement, l’homme reste, pétrifié, comme le prince du Re corvo de Gozzi, mais en une noble attitude et avec un geste plein de grandeur. Son souvenir demeure vivant et il est célébré comme un héros ; sa volonté mortifiée, sa vie durant, par les épreuves et la peine, par l’insuccès et l’ingratitude du monde, s’éteint au sein du nir-