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en 1216 : on saccage les maisons, on rase les tours ennemies. Nouvelle échauffourée en 1221, puis, deux ans plus tard, en 1223, l’explosion éclate si violemment que cinquante citoyens demeurent sur le carreau et que le nombre des blessés est considérable. Tel est le prologue de dissensions qui devaient se perpétuer pendant deux siècles.

De cette époque tumultueuse, de ces mœurs farouches, quelques quartiers de Viterbe portent encore l’empreinte, celui de San Pellegrino plus que tout autre. Là, le moyen âge s’est perpétué avec une ténacité rare. Deux circonstances ont principalement permis à ce coin de Viterbe de parvenir ainsi, dans une intégrité relative, au seuil du XXe siècle. En premier lieu, les constructions sont de pépérin, pierre particulièrement résistante. Les habitans ne sont, d’autre part, et depuis longtemps, que de pauvres contadini, logés, par une ironie du sort, dans les fières demeures nobiliaires du passé. Le temps a trouvé de la sorte des obstacles à son œuvre habituelle de destruction. Quant à la main des hommes, elle n’a rien abattu pour transformer ou pour embellir, se bornant à soutenir tant bien que mal ce qui menaçait ruine. Voilà pourquoi, dans la masure d’aujourd’hui, un œil tant soit peu clairvoyant retrouve les maisons et les palais d’autrefois.

Aventurez-vous sans réflexion dans ce pauvre quartier : ce seront à chaque pas, pour ainsi dire, des sensations inconnues qui viendront vous assaillir à l’improviste, des surprises surgissant sous toutes les formes : tours noirâtres percées de rares fenêtres, ruelles dallées qui s’engouffrent sous des arcades sombres ou plongent en tournant dans des profondeurs ; hautes murailles rébarbatives qui enserrent un vicolo étroit, montées et descentes se succédant sans ordre et sans fin, escaliers extérieurs et perrons élevés donnant seuls accès à des maisons inhospitalières, colonnes encastrées dans un angle, lourds balcons qui surplombent la voie publique, frise ou cordon gothique courant sur un mur recrépi, croisées modernes inscrites dans une ogive à peine transparente, écussons féodaux illustrant une entrée quelconque, portes vermoulues semées de gros clous, armées de verrous gigantesques, fontaines originales. Au milieu de ces témoignages estropiés, mais éloquens, d’une vie qui n’est plus, un peuple de pauvres gens dont la vie s’écoule à la grâce de Dieu. Des femmes assises sur le pas des portes,