Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/128

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

serviteurs, toujours en armes, prêts à tendre des chaînes à travers les rues, à barricader les passages voûtés, à faire chauffer l’huile et la poix au sommet des tours. Pour bibelots, ces hommes de proie recherchaient les belles armures niellées, les épées aux lames du plus fin acier, les poignards aux manches d’ivoire, les dagues, les hallebardes, les arbalètes, les casques artistement damasquinés et surmontés de hauts panaches. Aux repas de famille, il y avait toujours un hôte, voisin ou voyageur, pour raconter d’invraisemblables aventures à faire frissonner les jeunes filles et ouvrir de grands yeux avides aux jeunes garçons. Et puis, soudain, c’est la réalité qui surgissait, plus tragique encore, comme en 1223, où le quartier de San Pellegrino fut témoin d’une violente explosion. Le parti des Tignosi comptait parmi ses adhérens un certain Niccola Cocco, qui était parvenu, dans ce temps d’orages journaliers, à conquérir la réputation d’un brigand féroce ; sa vie était un tissu d’actions violentes qui avaient attiré sur lui, sur ses parens et sur ses amis, de cruelles représailles. Un beau jour, il réussit à pénétrer avec plusieurs acolytes dans ce palais Alessandri que j’ai là sous les yeux. Ce fut d’abord un sauve-qui-peut général. Plusieurs personnes furent tuées avant d’avoir pu se mettre en défense. Tandis que les hommes s’armaient à la hâte, les femmes se réfugiaient dans les appartenons écartés, dans de mystérieuses cachettes. Deux des Alessandri furent grièvement blessés dans les premières collisions. Cependant, du haut de la tour, les serviteurs avaient appelé à l’aide ; tout le quartier s’était armé tumultueusement. Les amis des Alessandri accoururent en foule, on combattit avec rage, et Cocco dut chercher son salut dans la fuite. Ce n’est là qu’un des épisodes, mais un épisode authentique, des luttes dont le vieux palais fut le théâtre.

Il s’en faut que les vestiges ou, pour être plus exact, les reliques de ce passé lointain ne se rencontrent que dans le quartier de San Pellegrino. Une aile du palais des Gatti, de ces puissans et audacieux chefs de faction, noircie, cariée par les siècles, mais encore debout, rappelle, avec sa saillie menaçante, la superbe arrogance de ses anciens maîtres. Et, s’il faut éviter l’écueil d’une nomenclature et passer du profane au sacré, sans changer d’époque, comment ne pas faire une halte à San Giovanni-in-Zoccoli, à cette église de pierre et rien que de pierre ? Quoique bâtie aux environs de l’an mille, elle est parvenue