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L’évolution qui s’opère en ce moment dans l’armée allemande et que les grandes manœuvres de 1900 ont mise en lumière, tend à remplacer de plus en plus la discipline coercitive par la discipline morale. De là une tactique nouvelle fondée sur le développement de l’initiative à tous les degrés, sur la confiance des chefs dans leurs cadres inférieurs, dans leurs soldats et sur l’esprit de sacrifice.

Pour saisir la portée de cette transformation, il est nécessaire de remonter aux origines de la discipline prussienne.


Les armées de Frédéric II étaient composées de soldats recrutés un peu partout. Il racolait des Saxons, des Polonais, accueillait les déserteurs et les aventuriers, enrôlait de force les passans, et même les prisonniers de guerre, Français, Autrichiens ou Russes.

Pour pouvoir commander un tel ramassis, l’emploi de la force était indispensable. « C’était, dit Michelet, une geôle ambulante où une discipline de fer parvenait seule à maintenir chacun dans le devoir. » Après chaque défaite, les régimens fondaient par la multitude des désertions.

Malgré cette discipline, malgré l’énergie des sous-officiers et des officiers (ceux-ci presque tous nobles pour qui le métier des armes était un héritage de famille), les défaillances étaient fréquentes.

Le 27 août 1758, à la bataille de Zorndorf, l’infanterie prussienne attaquée par l’infanterie russe et chargée fut prise de panique. Frédéric II se trouva en danger et vainement jusqu’à trois fois, saisissant un drapeau, il s’efforça de ramener ses troupes. Le soir même, il écrivait à Catt, son confident : « Seydlitz et ses cavaliers ont sauvé l’Etat et moi. Aussi ma reconnaissance vivra-t-elle autant que la gloire qu’ils ont acquise dans cette journée, comme mon indignation contre ces régimens de la Prusse, sur lesquels je comptais, ne finira pas. Ces viédases ont fui comme des vieilles… et m’ont donné des instans de peine cruelle.

« Ces… ont eu une terreur panique, dont on n’a pu les faire revenir ! Qu’il est cruel de dépendre de ce ramas de drôles ! »[1].

A Zullichau (Paltzig), le 23 juillet, à Kunersdorf, le 12 août 1759, ce fut encore pis.

  1. Rambaud, Russes et Prussiens.