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nos jours qu’un lieu magnifique et désert, où les sujets notables ne pénètrent guère, même pour frotter de colophane la semelle de leurs chaussons ; quoique l’élément mondain se fasse rare dans les coulisses embourgeoisées et que l’élément politique soit représenté surtout par des sous-attachés de cabinet, la ballerine, même laide, conserve du prestige et continue de trouver des admirateurs.

Les petits théâtres ont leurs danseuses aussi ; mais celles-là, sauf le sujet principal, moins payé du reste à Paris qu’à Vienne ou à Londres, ne sortent d’aucune école régulière. Les « pointes, » les « entrechats 4 » ou les « grands changemens de pied, » leur sont tout à fait inconnus. On leur apprend en trois mois quelques pas faciles, — glissades, jetés ou sauts de basque, — dont elles se tirent tant bien que mal.

« Heureux les théâtres qui n’ont pas d’orchestre, puisqu’on ne peut avoir un orchestre sans musiciens, » gémissait l’imprésario d’une salle excentrique, qui se plaignait de la mauvaise tenue de ses violons, dessinant, dormant, lisant leur journal ou s’envoyant des boulettes de pain, lorsqu’ils déposent leur archet ; au surplus inexacts, sauf pour se faire payer à date fixe ; en quoi ils se montrent plus durs que les acteurs. Est-ce pour ce motif que l’orchestre a disparu des théâtres de genre, où il semblait naguère indispensable pour ne pas lever le rideau à froid, après les trois coups traditionnels ? Les Français, qui ont supprimé aussi leur troupe de musiciens, dont Jacques Offenbach avait été quelque temps le chef, conservent, parmi leurs dépenses, un chapitre annuel de 40 000 francs pour la musique, c’est-à-dire pour les sonorités invisibles et très diverses, — trompe de chasse, piano, écho lointain d’un bal, — qui se font entendre derrière la toile.

De véritables orchestres, il n’y en a plus qu’à l’Opéra-Comique et à l’Opéra. En ces derniers, non seulement les instrumens à cordes, les cuivres et les bois, sont tenus par des artistes de mérite, mais la « batterie » elle-même, — cymbales, triangle et grosse caisse, — fut parfois confiée à de jeunes compositeurs, qui prenaient l’emploi pour avoir le loisir de travailler, tout en gagnant 200 francs par mois. A l’Opéra, le nombre des exécutans, qui, de 80 au minimum, va dans certaines circonstances jusqu’à 100, a augmenté suivant la dimension de la salle et suivant les exigences de l’orchestration moderne. Gluck, le