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M. Hanslick le style de Haydn et de Mozart. Le troisième, vif et passionné, pour voix de basse, est écrit sur ces paroles : La vie est un combat, une lutte sans trêve.

Ainsi Grillparzer « possédait » la musique. Mais on peut dire qu’elle le possédait encore davantage. Elle aidait parfois à son travail, votre à son inspiration de poète. La première idée de sa trilogie La Toison d’or lui vint en jouant les symphonies de Haydn, de Mozart et de Beethoven. Il était alors sur le point de partir pour l’Italie. Quand il en revint, l’idée, à peine entrevue un moment, l’avait fui. Seules, les symphonies, plus fidèles, de même qu’elles la lui avaient donnée, eurent la vertu de la lui rendre. Dans les tragédies ou les drames de Grillparzer, il n’est pas rare que la musique intervienne. Tantôt elle les environne ; tantôt elle fait plus et les pénètre. « Nous la sentons dans ce lyrisme qui fait jaillir des lèvres de beaucoup de ses personnages des dots de paroles harmonieuses. Ce sont des drames lyriques que Sapho, les Vagues de la mer et de l’amour, Libussa. La musique est dans l’émoi des âmes juvéniles qui s’éveillent à l’amour et dont nous devinons les troubles à un discret murmure, avant que des mots précis avertissent notre intelligence ; elle est dans les rêveries d’Héro solitaire ; elle est dans les désirs, les mélancolies, les aspirations dont le poète évite d’éclairer la pénombre par l’analyse et dont il sait nous faire entendre les vagues rumeurs… Il y a de la musique dans tout le rôle de Rodolphe II, qui entend les harmonies des sphères… Il y a de la musique enfin dans la langue, qui n’a point la précision sèche d’un instrument de la pensée pure, mais la souplesse et le charme enveloppant des voix qui parlent à l’aine[1]. »

Il semble bien que la musique ait initié Grillparzer à la poésie. « C’est par la musique, disait-il un jour à Beethoven, que j’ai appris la mélodie des vers. » Par reconnaissance autant que par inclination naturelle, il a fait à la musique dans son œuvre d’écrivain, dans sa prose et dans sa poésie, une grande part, une part splendide. Il l’a tour à tour étudiée en musicien ou en philosophe et glorifiée en poète, en penseur, en amoureux. Parmi tant de maîtres illustres qui furent tous, ou peu s’en faut, ses contemporains, il en est, comme Mozart et Schubert, qu’il a compris tout entiers ; d’autres à demi seulement, comme

  1. M. Ehrhard.