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contrepoint. « Alors, dit-il, je sus mieux composer et développer, mais l’inspiration était à jamais perdue[1]. »

Né trop tard, à son grand chagrin, pour rencontrer Mozart, Grillparzer connut Schubert et surtout Beethoven, dont il faillit, on le sait, devenir le collaborateur. Dans une pièce de vers consacrée au musicien du Roi des Aulnes, il a marqué fortement, sans aller jusqu’à la définir, l’originalité du génie de Schubert : « Schubert est mon nom ; je suis Schubert. C’est comme tel qu’il faut me prendre. Je rends hommage aux œuvres des maîtres, je les vénère ; mais rien d’elles n’entrera jamais dans les miennes. Louez-moi, j’en serai bien aise ; dites du mal de moi, je le supporterai. Schubert est mon nom ; je suis Schubert[2]. » Quant au compositeur en personne, Grillparzer ne parle de lui qu’une fois. Il nous le montre au piano, dans cette maison des charmantes sœurs Fröhlich, qui fut l’asile de Grillparzer lui-même jusqu’à sa mort. Kathi, celle qu’il aimait, est assise près de Schubert, émue et comme enivrée par les sons : « Arrête, va-t-on crier, lorsque des accens trop douloureux semblent la jeter dans l’angoisse. Mais les dissonances cruelles se résolvent en sereines harmonies, et les yeux de la charmante enfant, tout à l’heure baignés de larmes, rayonnent d’un joyeux éclat, comme le soleil après une pluie d’orage[3]. »

Tout autres, je veux dire beaucoup plus fréquens et plus étroits, furent les rapports de Grillparzer avec Beethoven. Les Souvenirs du poète ont fourni plus d’un trait, parfois significatif, à l’image physique et morale du musicien.

C’est en 1805, chez son oncle Sonnleithner, que Grillparzer aperçut pour la première fois l’auteur de la Symphonie héroïque. Il avait quatorze ans et Beethoven trente-cinq. « Un ou deux ans après, a-t-il raconté, j’habitais pendant l’été avec mes parens le village de Heiligenstadt, près de Vienne. Notre appartement donnait sur le jardin ; Beethoven avait loué les pièces qui donnaient sur la rue. Les deux logemens étaient reliés par un corridor commun qui menait à l’escalier. Mes frères et moi, nous n’attachions pas beaucoup d’importance au bizarre personnage (il avait pris de l’embonpoint et sa mise était très négligée, malpropre même), quand il passait rapidement devant nous, en

  1. M. Hanslick.
  2. Cité par M. Ehrhard.
  3. lbid.