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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/253

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sentiment des membres présens, paraissent être sortis de l’usage ; elle fait de même pour les définitions, les significations, les locutions, les exemples. Mais au début elle n’avait comme point de départ que les dictionnaires antérieurs, où manquaient beaucoup de mots usités et où foisonnaient les mots surannés, où les définitions étaient souvent flottantes, les sens et les locutions incomplètement énumérés, les exemples peu nombreux et peu sûrs. La tâche personnelle des premiers académiciens fut considérable et ardue. Tant que vécut Vaugelas, ils s’y donnèrent avec ardeur ; après sa mort (1650) il y eut un alanguissement dans le travail[1] ; enfin on le reprit, et la première édition, après soixante ans d’incubation, parut en 1694.

Cette édition — qui vient d’être réimprimée — diffère de toutes celles qui l’ont suivie en ce que les mots y sont rangés par familles, l’ordre alphabétique n’étant observé que pour les chefs de famille (avec, bien entendu, des renvois pour les autres mots). Cette disposition, dont Mézeray paraît avoir été le promoteur, a certainement des avantages ; elle pourrait être adoptée dans un dictionnaire historique : elle était peu pratique dans un dictionnaire de l’usage, qui doit pouvoir être consulté facilement ; elle entraînait des inconséquences, et, surtout à une époque où la vraie histoire des mots était fort mal connue, elle exposait à de fâcheuses erreurs. L’Académie y renonça dès sa seconde édition (1718), et fit bien.

Le Dictionnaire se ressentait, naturellement, de la lenteur avec laquelle il avait progressé. Il représentait la langue du milieu du XVIIe siècle plutôt que celle de la fin, car la révision dernière n’avait pas été un remaniement complet, qui, si on l’avait entrepris, eût encore retardé la publication. Cependant l’œuvre avait été quelque peu rajeunie et remise au point. Il serait curieux de l’étudier de près à ce point de vue et d’en relever les disparates. Qu’on songe que de l’A au Z, depuis Chapelain et Colletet jusqu’à La Bruyère et à Fontenelle, l’Académie s’était plusieurs fois renouvelée. Cette étude ne saurait être abordée

  1. Ils avaient cependant pour les stimuler un puissant mobile, s’il faut en croire une phrase de Racine qui mérite d’être citée : « Ce travail qui nous est commun, ce dictionnaire qui de soi-même semble une occupation si sèche et si épineuse, nous y travaillons avec plaisir : tous les mots de la langue, toutes les syllabes nous paraissent précieuses, parce que nous les regardons comme autant d’instrumens qui doivent servir à la gloire de notre auguste protecteur. » Et dire qu’un tel courtisan a pu se faire disgracier !