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justifiées, utiles pour les étrangers et même pour les Français, car, quoi qu’en ait dit Victor Hugo, la barrière n’est pas tombée entre les « mots grands seigneurs » et les « mots roturiers ». Il restera toujours des genres et des occurrences où on n’emploiera pas certains mots et certaines acceptions, et il appartient à l’Académie de signaler ces mots et ces acceptions.

Le choix des mots et des sens et la désignation, quand il y a lieu, de leur caractère archaïque, trivial, etc., sont ce qu’il y avait et ce qu’il y a encore de plus délicat dans le travail de l’Académie. A l’origine, elle y procéda uniquement d’après le sentiment de ses membres ; aujourd’hui c’est encore ce sentiment qui la guide, moins exclusivement toutefois, car elle a toujours sous les yeux le dictionnaire de Littré, qui lui fournit des exemples tirés d’auteurs justement estimés, et ces exemples influent sur les décisions. Cela est inévitable et en somme louable et utile ; mais il est permis de regretter que la spontanéité du sentiment ne puisse plus être aussi pleine, aussi candide, si l’on ose dire, qu’elle l’était au XVIIe siècle. C’est là en effet qu’est la grande valeur et l’utilité principale du Dictionnaire de l’Académie. Il sera d’autant plus précieux qu’il représentera plus fidèlement le sentiment sincère, primesautier, non dévié par l’érudition, de ceux qui le font.

Pour qu’il le représentât dans toute sa plénitude, il faudrait, à la vérité, des conditions qui ne se sont jamais réalisées. L’Académie, quand elle travaille au Dictionnaire, est loin d’être au complet ; ses membres apportent à l’œuvre un intérêt fort inégal : ce sont à peu près toujours les mêmes, en petit nombre, qui y participent activement, en sorte que la variété de composition, qui est le trait le plus original de la compagnie, n’y trouve pas son expression complète. Il serait curieux de constater, à l’aide des procès-verbaux, la part qu’a prise à la rédaction de chaque page, aux diverses époques, chacun des membres de l’Académie : on verrait qu’il en est, et des plus illustres, qui n’ont dans le Dictionnaire aucune ou presque aucune part de responsabilité. Malgré tout, les discussions qu’il provoque sont toujours animées, souvent très vives, parfois passionnées ; elles sont surtout intéressantes quand elles sont menées non à coups d’autorité, mais d’après l’impression de chacun. Le résultat général en peut être regardé comme donnant une idée approximative du sentiment qu’ont eu de la légitimité, de la valeur et du bon