l’esprit ni par l’intelligence. Fonctionnaire correct et docile, le général de Liéven, partout où il passa, fut jugé comme très inférieur à celle qui portait son nom. Chateaubriand, qui ne l’a jamais vu qu’à Vérone, est seul à prétendre le contraire. Mais son appréciation sur le mari ne procède que du désir d’humilier la femme. La vérité qui résulte de tous les dires oblige à reconnaître que ce brillant seigneur, bien qu’il fût ministre à vingt-trois ans, était « aussi nul qu’ennuyeux. » Sa femme l’eut bientôt jugé à sa valeur. Sans faire vis-à-vis de lui étalage de la sienne, elle l’accoutuma à subir en tout son influence, à se laisser diriger par elle dans toutes les circonstances difficiles de sa carrière.
En 1809, elle le suivit à Berlin, où l’empereur Alexandre venait de le nommer ambassadeur. C’est là, au contact des hommes d’état et des diplomates, en un moment où, grâce aux incessantes entreprises de Napoléon, la politique et la diplomatie étaient choses difficiles, compliquées, aussi changeantes que le capricieux et mobile maître de l’Europe, que Mme de Liéven, quoiqu’elle eût à peine vingt-six ans, commença à donner sa mesure, à conquérir sa réputation très justifiée de femme habile et remarquable, plus que qui que ce fût au courant des affaires de l’Europe. Grâce à elle, son mari brilla. L’ambassade qu’il dirigeait, ou plutôt qu’elle dirigeait pour lui, devint en peu de temps un des postes les plus importans du continent.
Ce succès diplomatique eut pour résultat, en 1812, la nomination de M. de Liéven à l’ambassade d’Angleterre. La campagne de Russie venait de s’ouvrir. Le tsar Alexandre avait jugé bon de renouer avec les Anglais ses rapports depuis longtemps suspendus. Les Liéven furent accueillis à Londres avec la faveur la plus marquée. La jeune femme devint en peu de temps l’étoile du corps diplomatique accrédité dans la capitale anglaise, partageant ce privilège avec la princesse Paul Esterhazy, femme de l’ambassadeur d’Autriche.
La cour d’Angleterre était alors la plus excentrique et la plus dissolue des cours. Sous le nom du roi Georges III, tombé en enfance, régnait son fils, le prince régent, qui devait monter effectivement sur le trône en 1818. Ses débauches l’avaient rendu impopulaire parmi ses sujets[1]. Sa femme, la princesse Caroline de Brunswick, de laquelle, depuis plusieurs années, il
- ↑ J’en ai parlé précédemment avec plus de détails. — Voyez la Revue du 15 novembre 1899.