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qu’elle lui écrit. C’est une âme tourmentée, passionnée, avide d’affection et qui ne saurait se satisfaire de ce qui est incomplet. Chacune de leurs séparations est un déchirement pour elle. Quand il est parti elle le pleure comme si elle l’avait perdu et ne devait plus le revoir. Et de loin, il a beau verser sur elle, en de « douces paroles », tout ce que la raison, la tendresse, l’intelligence peuvent inspirer d’éloquemment consolant à une âme généreuse et sensible, rien n’y fait.

Pour qu’elle se relève, se console et se reprenne à l’espoir, il faut l’annonce de son prochain retour. C’est là ce qui caractérise leur correspondance et lui donne tant de prix. On y voit d’une part la plainte d’une âme en peine et d’autre part la sollicitude incessante d’un grand cœur, prodiguée sans mesure sous les formes les plus parfaites à une créature véritablement martyrisée par son isolement.


II

Après 1840, lorsque Guizot eut repris le pouvoir qu’il devait conserver jusqu’à la révolution de février, ses voyages devinrent plus rares et les souffrances de la séparation, si cruelles à la princesse de Liéven, s’espacèrent, tandis qu’au début de leur liaison, ses absences étaient longues et fréquentes. Tous les ans, l’été venu, il s’installait pour plusieurs mois à la campagne avec sa mère et ses enfans. Père exquis, fils modèle, nulle considération n’aurait pu le détourner de ce qu’il regardait comme un devoir. Mais, cet amour filial et paternel que cependant elle admirait rappelait sans cesse à l’amie qu’elle n’était pas tout pour son ami. Dans la mère qu’il vénérait, dans les enfans qu’il chérissait, elle voyait des rivaux qui lui disputaient le cœur où elle aurait voulu régner seule. Elle se reprochait d’en prendre ombrage. Elle n’en souffrait pas moins. La douleur de le savoir loin d’elle s’aggravait de cette jalousie inconsciente qu’elle eût voulu lui cacher et que trahissaient ses plaintes. Lorsque, sous le ministère Thiers, il partit pour Londres comme ambassadeur, elle en souffrit aussi, moins cependant, parce que dans son éloignement, elle voyait pour lui un intérêt de carrière et surtout parce qu’elle avait résolu de l’aller rejoindre. Mais, lorsqu’elle le savait au Val Richer, lorsqu’elle se disait qu’il y était par sa propre et seule volonté, qu’il aurait dépendu de lui de ne pas y