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volontiers de son embarras pour un temps sur les épaules d’autrui. Nous verrons jusqu’à quel point la fécondité de l’esprit, la dextérité de la conduite et le talent de la parole suffiront au gouvernement. En attendant, il est absurde de se plaindre qu’il ne s’occupe pas des petites affaires. Je suis sûr qu’il s’en occupe plus qu’on n’a le droit de l’exiger dans sa situation. C’est précisément une de ses qualités de pouvoir penser à la fois à beaucoup de choses, grandes et petites, et porter rapidement de l’une sur l’autre son activité et son savoir-faire. »

On sait que, contrairement à l’espérance manifestée par Thiers, le cabinet qu’il présidait ne tarda pas à être renversé, mais non sans avoir ramené en France les cendres de l’Empereur. À la veille de cet événement, les inquiétudes étaient grandes dans le monde politique. La princesse en entretenait son ami, lui transmettait l’opinion de Molé, très assombrie, celle du vieux comte de Montrond l’ami de Talleyrand, très rassurante.

« 31 mai. — M. Molé affirme, contrairement à mon opinion, que les funérailles de Napoléon ne peuvent être faites avec sécurité que par un autre que Thiers. Il est très noir sur tout ce sujet. Son opinion est nécessairement exagérée. Cependant aujourd’hui je vous assure que tout le monde est d’accord pour trouver toute l’affaire bien étourdie. Moi je ne la trouve pas étourdie.

« J’ai vu hier Montrond, fort tranquille aussi, et content : « Tout cela ne sera rien. Il n’y a plus de Bonapartistes en France. » Le roi a dit aux ambassadeurs : « Tout ceci ne me regarde en rien. Je ne m’en môle pas. »

Au milieu de ces préoccupations purement politiques, l’amitié ne désarmait pas, ne renonçait à aucun de ses droits. Elle se faisait entendrez dans les lettres quotidiennement échangées et toujours aussi vive, aussi susceptible, aussi vibrante. C’était au moment où la princesse se préparait à partir pour Londres, sous le prétexte « de vendre ses diamans » et de voir ses amis, alors qu’un seul l’attirait et l’appelait :

« 3 juin 1840. — Que votre parole est puissante ! Et quand je pense qu’outre cette parole puissante, il y aura bientôt cette voix, ce regard, qui agissent sur moi si fortement, je me sens bien petite de me laisser aller à des momens de tristesse, de doutes où vous me voyiez si souvent.

« Je rentre et l’on me remet votre 384. Il y a vos