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l’autre. Mais, elle ne put se résoudre à se dépouiller du titre et du nom qu’elle avait si longtemps portés. De son côté, Guizot ne voulait pas d’une union morganatique. Le projet fut abandonné presque aussi vite que conçu sans que d’ailleurs leur affection réciproque en fût atteinte. Ils avaient uni et confondu leurs vies et la mort seule devait les séparer.

Le 24 février 1848, la princesse trembla pour son ami. Elle redoutait pour lui la violence des fureurs populaires. L’ambassadeur d’Autriche, comte Appony, étant venu lui offrir à elle-même un asile contre l’émeute à l’hôtel de l’ambassade, elle ne consentit à accepter cette offre qu’après avoir acquis la certitude que Guizot était en sûreté. La semaine suivante, ils se retrouvaient à Brighton. Metternich parle à plusieurs reprises dans ses Mémoires des visites qu’à cette époque, chassé de son pays lui aussi par une révolution et réfugié en Angleterre, il faisait à la princesse de Liéven. Il mentionne que toujours, il a rencontré chez elle l’ancien ministre de Louis-Philippe. Ils étaient en effet toujours ensemble. L’amitié consolait Guizot des amères déceptions de la vie politique. En Angleterre, jusqu’en 1850, puis en France, cette consolation lui resta. Il devait en jouir jusqu’au 26 janvier 1857, date du décès de la princesse de Liéven.

Elle avait alors soixante-douze ans. Depuis longtemps, sa santé déclinait. Mais, elle n’avait rien perdu de son intelligence, de son esprit, ni de la vivacité de son cœur. Elle allait même gagner en courage, car longtemps, épouvantée par l’idée de la mort, tout à coup, à la veille de l’heure suprême, elle cessa de s’en effrayer, montrant à son fils Paul de Liéven et à Guizot un visage ferme et rasséréné, surtout après qu’elle eut communié des mains du pasteur Cuvier « assise dans son lit, recueillie, sereine, simple avec tristesse. » A la fin de la cérémonie, son fils s’étant détourné pour pleurer, elle eut un éclair de joie maternelle, « un peu inattendue, » et prenant la main de Guizot lui dit :

— Il a du cœur. Ayez toujours de l’amitié pour lui, je vous le demande.

Le même jour, ayant appris qu’un de ses amis les plus chers, M. de Meyendorf, venait d’arriver à Paris, elle lui écrivit : « Quelle joie et quelle misère ! Vous arrivez et je pars pour si loin. Venez me voir ; vous serez peut-être à temps. » Il vint dans la soirée. Elle le reçut une minute, seul avec elle.