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tous les inconvéniens et les désagrémens de la vie du soldat sans en avoir aucun des avantages.

Nous avons connu en Tunisie ce type de braves gens vivant de notre vie, se fixant à côté de nous dans les campemens, se déplaçant avec nous en colonnes, n’ayant pour tout abri qu’une toile de tente ou que le dessous de leurs charrettes et de leurs arabas et pour nourriture que les provisions qu’ils pouvaient emporter. Etaient-ils bien moins méritans que nous, eux qui supportaient de telles privations et de telles fatigues sans y être astreints par le sentiment du devoir et l’espoir des récompenses ? Nous étions souvent émus de leur dénuement et de leur misère et admirions ces hommes qui menaient une telle existence sans que rien les y obligeât. Qu’importaient, après tout, leur condition sociale et leurs origines ? Rome eut-elle des fondateurs si illustres ? Et ces enfans de la vieille Gaule par ce qu’ils firent sur la terre africaine allaient montrer qu’ils méritent l’admiration tout autant que les fils de la Louve par ce qu’ils ont fait dans les plaines du Latium.

Oui, ils furent admirables, ces colons de la première heure, et dans la même admiration on doit embrasser et le gentilhomme qui jetait dans le sol un demi-million et le paysan qui travaillait la terre à la sueur de son front, et le pauvre mercanti qui faisait des charrois exposant sa vie à chaque pas du chemin. D’inégale condition sociale, ils déployèrent tous une égale endurance et un égal héroïsme. On ne saurait apprécier à leur valeur de tels hommes si on ne connaissait, non seulement les conditions de sol et de milieux, mais encore les difficultés d’ordre administratif avec lesquelles ils furent aux prises et les périls auxquels ils furent exposés par suite de l’état de guerre permanent dans le pays. Bien plus même que le lamentable état dans lequel se trouvait la culture sur le sol algérien et que les défiances naturelles des indigènes, les incertitudes et les hésitations gouvernementales causèrent de déboires à nos colons. Dans les premières années de l’occupation, le gouvernement, qui hésitait entre l’évacuation de l’Algérie et le système de l’occupation restreinte, ne voulait pas entendre parler de gens qui, sans souci des considérations de politique générale, voulaient toujours aller de l’avant et engageaient l’avenir. Le baron Pichon, délégué en 1831 auprès du commandant en chef de l’armée d’Afrique dans les fonctions de directeur des affaires civiles, était nettement opposé à toute tentative de colonisation. Dans cet ordre d’idées, le