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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/372

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ordres reçus, M. Mercier ayant manifesté son intention de se maintenir dans sa ferme de la Kéghaïa, le général Dampierre fit évacuer la ferme de force, enlever les 70 fusils et les 2 000 cartouches qui s’y trouvaient, et obligea M. Mercier à le suivre à Alger. Pareilles mesures durent être employées à l’égard de chacun des colons que l’autorité militaire put contraindre à obéir aux ordres donnés ; mais un bon nombre réussirent à éluder ces ordres et à se maintenir quand même sur leurs positions, décidés à suivre le sort de leurs établissemens.

Le 20 novembre 1839 restera une date à jamais funèbre dans l’histoire de l’Algérie. Ce jour-là sonna le glas de cette colonisation libre qui fut si remarquable. Dès l’aube, les troupes ennemies apparurent à tous les côtés de l’horizon. Il en venait des gorges de la Chiffa, des pentes de l’Atlas, des creux et des ravins de l’Harrach. Les Kabyles accouraient de l’est, les Hadjoutes de l’ouest, les réguliers de l’émir de Médéa et du sud. Franchissant le lit de la Chiffa et celui de l’Harrach, cavaliers et fantassins d’Abd-el-Kader envahissent de tous côtés la plaine et s’abattent sur le pays comme une trombe. Les tribus soumises sont pillées, balayées et poussées comme des troupeaux ; des détachemens de troupes sont surpris et anéantis à Oued-el-Alleug et à Maklouf ; des convois de ravitaillement sont enlevés entre Boufarik et Blidah ; les cultivateurs surpris en rase plaine sont massacrés ; ceux qui ont eu le temps de fuir se barricadent dans leurs fermes. Comme la marée montante, le flot envahisseur les y poursuit, vient battre les murailles et les y enserre. Sur tous les points, les assiégés luttent avec l’énergie du désespoir ; serviteurs indigènes et ouvriers européens rivalisent de bravoure ; les femmes et les enfans font le coup de feu. Mais, malgré leur vaillance, le sort des colons est fixé. Isolés, trop éloignés les uns des autres, leurs groupes dispersés dans la plaine ne peuvent se prêter un mutuel appui ; de l’armée il n’y a à attendre aucun secours ; l’ennemi est d’ailleurs cent fois plus nombreux. Les positions occupées par les colons succombent les unes après les autres. Les maisons brûlent, les meules sont incendiées et les flammes projettent vers le ciel des lueurs rougeâtres. Toute la Mitidja flamboie. Des scènes hideusement sauvages ont lieu. Ceux des malheureux colons qui ont échappé aux balles, au feu et au fer, subissent les pires outrages et sont emmenés en captivité. Le lendemain et les jours qui suivirent n’éclairèrent plus qu’un vaste charnier et des