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et son parti est pris. Il va chercher à Douvres sa fiancée. Lorsque le grand dadais aperçoit cette naine qui n’atteint pas à son épaule, il a un moment de désarroi et, presque, de retraite. Mais le sort en est jeté. Sa parole est donnée et son cœur suivra sa parole. Il aimera quand même celle qui sera la mère de ses enfans. En effet, elle sera mère dix-sept fois. Entre ces deux êtres qui, physiquement, semblent si mal accouplés, des affinités morales se révèlent et l’unisson s’établit entre leurs vertueux ridicules et leurs respectables manies. Tous deux sont infatués de royauté. La reine, — tout en affectant la plus profonde déférence envers le roi, dont elle avait de bonne heure, pénétré la nullité, — se mêle de politique et travaille, en dessous, à la grande œuvre, au relèvement de l’autorité monarchique. Comme son mari, elle veut une stricte étiquette dans une stricte simplicité. Comme lui, elle a le culte de la règle, la subit la première, l’impose autour d’elle, l’incarne en quelque sorte. Sa conception du devoir royal est étroite, puérile, parfois absurde, mais toujours claire, et elle l’accomplit sans en rien omettre, sans y rien changer. Levée à six heures, couchée à minuit ; audiences, toilettes, repas, elle exécute, l’une après l’autre, toutes les fonctions de sa journée royale avec la régularité d’un mouvement d’horlogerie. Malheur à qui est en retard et tant pis pour qui se plaint ! Sévère disait qu’un empereur doit « mourir debout. » Il en parlait bien à son aise. Pour les souverains et pour ceux qui les entourent, la difficulté est non pas de mourir mais de vivre debout. C’est à quoi la reine Charlotte employait toute son énergie, lin jour, l’une de ses dames d’honneur, à bout de forces, demandait grâce, implorait la faveur de s’asseoir. « Est-ce que je m’asseois ? » dit sèchement la reine. Elle trouvait du temps pour lire les livres qu’une de ses femmes de chambre, habile à ce genre de négociations, achetait au rabais chez les bouquinistes. « On trouve là des occasions admirables, » dit-elle à miss Burney le premier jour qu’elle la vit. Elle réservait aussi des heures au commérage intime, à des railleries très acérées dont ses sujets faisaient les frais. Mais de tout cela rien ne perçait en public, et ses lettres ne la trahissaient point. Elle écrivait à une de ses confidentes : « J’aurai de bonnes histoires à vous conter quand je vous verrai. » Elle était prudente, mais non poltronne. Certain jour elle brava l’émeute, regarda le peuple en face. C’était en 1810. Une foule furieuse se ruait autour de sa voiture, vomissant des