Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/444

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Fermez vos yeux prudens si vous croyez l’entendre
Marcher sur l’herbe douce ou sur le sable amer,
Pour écouter en vous gronder et se répandre
Le bruit de la forêt et le bruit de la mer.


LE BONHEUR


Sois heureuse ! qu’importe à tes yeux l’horizon
Et l’aurore et la nuit et l’heure et la saison,
Que ta fenêtre tremble aux souffles de l’hiver
Ou que, l’été, le vent du val ou de la mer
Semble quelqu’un qui veut entrer et qu’on accueille.
Soie heureuse. La source murmure. Une feuille
Déjà jaunie un peu tombe sur le sentier ;
Une abeille s’est prise aux fils de ton métier,
Car le lin qu’il emploie est roux comme du miel ;
Un nuage charmant est seul dans tout le ciel ;
La pluie est douce, l’ombre est moite. Sois heureuse.
Le chemin est boueux et l’ornière se creuse,
Que t’importe la terre où mènent les chemins !
Sois heureuse d’hier et sûre de demain ;
N’as-tu pas, par ta chair divine et parfumée,
L’ineffable pouvoir de pouvoir être aimée ?


LE VŒU


« N’avez-vous pas tenu en vos mains souveraines
La souplesse de l’eau et la force du vent ;
Le nombreux univers en vous fut plus vivant
Qu’en ses fleuves, ses flots, ses fleurs et ses fontaines ? »

C’est vrai. Ma bouche a bu aux sources souterraines ;
La sève s’est mêlée à la fleur de mon sang
Et, d’un cours régulier, naturel et puissant,
Toute l’âme terrestre a coulé dans mes veines.

Aussi, riche et joyeux du fruit de ma moisson
Et du quadruple soir de mes quatre saisons,
Je te donne ma cendre, ô terre maternelle.