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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/528

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Forge, M. Turquet, M. Paul Déroulède, M. Mézières. Elle se réclamait des leçons de Gambetta : « Il a compris la France, disait M. Déroulède, et voilà pourquoi la France l’a écouté. » Mais quelque républicain que fût ce patronage, la Ligue, dès le 4 août 1882, adressait à tous les membres du Parlement, sans distinction de partis, un chaleureux appel : pour la première fois, et peut-être pour la dernière, un groupe notable de républicains voulait unir tous les Français sous l’égide d’un même idéal. On lisait comme épigraphe, en tête des statuts de la jeune Ligue : « Républicain, bonapartiste, légitimiste, orléaniste, ce ne sont là chez nous que des prénoms ; c’est patriote qui est le nom de famille. » Il était difficile d’être plus net, plus gracieusement éclectique, et pour mériter ce « nom de famille, » il suffisait de professer, suivant les termes de M. Déroulède à Rouen, qu’ « il y a assurément du vrai dans cette généreuse théorie : Tous les peuples sont frères, mais qu’il y a encore plus de vrai dans cette théorie non moins généreuse : Mon premier frère est le frère français. » Parler de la sorte, c’était choquer doublement le vieil esprit républicain ; c’était faire affront à ses répugnances contre une politique intérieure fondée sur la fraternité des Français, et troubler, en revanche, ses candides aspirations vers je ne sais quelle politique extérieure fondée sur la fraternité des peuples. Mais Gambetta, parce que patriote, avait rendu la République populaire ; il fallait, pour affermir cette popularité, donner à la France, quelques années durant, la menue monnaie ou même, au besoin, la fausse monnaie de Gambetta. Le parti républicain sut le comprendre, et les fondateurs de la Ligue des Patriotes, à l’origine, ne rencontrèrent, parmi leurs coreligionnaires politiques, aucunes suspicions trop avouées.

On s’accordait à cette date, sur presque tous les bancs de la gauche, pour ouvrir, à travers la France, des écoles de patriotisme. Les librairies s’enfiévraient, pour répandre des publications appropriées ; leurs catalogues offraient à l’âme nationale, comme aliment et comme excitant, des biographies et des récits militaires, à profusion. L’instruction civique et militaire, prescrite par la loi de 1882, suscitait une longue série de manuels, et Paul Bert nommait une commission pour préciser et guider ces velléités pédagogiques inédites. Des concours étaient ouverts afin de stimuler les éditeurs et les auteurs : on voyait des officiers y prendre ; part, entrer en lice contre les universitaires, et