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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/642

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Johnson, que la mort du président Lincoln avait appelé, d’une façon tout inopinée, à la Présidence, fut déféré, en 1867, au jugement du Sénat. Trente-cinq membres de la haute assemblée admirent sa culpabilité, dix-neuf seulement se prononcèrent pour la négative. La majorité des deux tiers exigée par la Constitution n’étant point atteinte, l’accusé bénéficia d’un acquittement que le déplacement d’une voix eût suffi pour transformer en condamnation. L’idée de démissionner avant le terme légal est si éloignée des traditions de la présidence américaine qu’Andrew Johnson ne songea pas un instant à résigner ses fonctions et que personne autour de lui ne s’en étonna[1]. Il demeura deux ans encore au pouvoir, continuant à vivre en fort mauvaise intelligence avec le Parlement, sans que ce conflit prolongé ait jamais provoqué aucun désordre public.

La Constitution fédérale n’accorde point au Président des Etats-Unis le droit de dissoudre la Chambre des représentais, qui est reconnu chez nous au Président de la République après avis conforme du Sénat. Si l’on songe que les Congrès américains se renouvellent tous les deux ans, qu’ils n’ont généralement qu’une seule session annuelle dont, une fois sur deux, la durée n’est que de trois mois, on verra que cette garantie, jugée indispensable dans les pays constitutionnels d’Europe, n’a point de raison d’être en Amérique. Des élections aussi rapprochées équivalent à une sorte de dissolution périodique. Si au lieu de se prolonger en principe pendant six ans les pouvoirs de la Chambre des communes étaient limités à deux années, il est à supposer que le droit de dissolution dont il est fait un si fréquent usage en Angleterre deviendrait à peu près superflu. On sait d’autre part que si l’exercice en est sans danger chez nos voisins d’outre-Manche, où il est consacré par une longue tradition, il semble n’en être pas de même en France, où l’unique

  1. Le Président des États-Unis tenant directement son mandat de la nation et non du Parlement, à la suite d’une lutte électorale qui consacre le triomphe de son parti, considère un peu son poste comme un poste de combat qu’il n’a pas le droit d’abandonner avant l’expiration de ses pouvoirs. La situation d’un Président français élu par une majorité parlementaire dont les élémens peuvent se modifier est différente. Il est plus libre en tout cas de décliner des responsabilités qu’il juge excessives si ses intentions sont méconnues ou s’il cesse d’être en communion d’idées avec les Chambres. Cette distinction néanmoins n’est pas comprise de l’autre côté de l’Océan et ce n’est pas un mince sujet d’étonnement pour un Américain de voir que, des cinq premiers présidons qui se sont succédé à l’Elysée, quatre ont résigné volontairement leurs fonctions.