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dont elle déclarait avoir besoin. Cela ne l’a pas empêchée d’être hantée par des idées belliqueuses, auxquelles elle aurait très vraisemblablement donné suite, si elle n’avait pas rencontré un avertissement opportun de la part de l’Empereur Alexandre II de Russie, et aussi, il faut le dire, de la Reine Victoria d’Angleterre. D’où venait à l’Allemagne, ou du moins à son terrible chancelier, cette subite poussée de velléités guerrières ? Il trouvait que la France se relevait trop vite de ses désastres, et que financièrement, politiquement, militairement, elle reprenait une trop grande place en Europe. Notez que la France ne manifestait aucune intention d’attaquer l’Allemagne ; et puisqu’elle ne l’a pas fait depuis, c’est-à-dire depuis plus d’un quart de siècle, on peut croire qu’elle n’en éprouvait pas alors le moindre désir. N’importe ! elle n’avait pas assez, au gré de M. de Bismarck, l’attitude d’une nation vaincue, et si elle ne voulait pas la guerre, elle pouvait la vouloir un jour. Il fallait donc intervenir tout de suite pour prévenir un plus grand mal. Cela était politique, humain, et même chrétien, le mot a été prononcé. Voilà à quel danger nous avons été exposés, en 1875, de la part de l’Allemagne pacifique et rassasiée. Et depuis, comment oublier tous les incidens de frontière que, pendant plus d’une année, en 1887 et en 1888, M. de Bismarck a accumulés avec un art dans lequel il était passé maître ? Que voulait-il alors ? Était-ce la paix ? Singulier moyen de la maintenir ! En réalité, il voulait préparer son pays à la guerre, et il espérait qu’à force de provocations, il nous amènerait à commettre une imprudence d’où elle sortirait inévitablement. Notre sang-froid et la maladresse qu’il a commise par l’arrestation de Schnæchelé nous ont préservés. Et encore depuis, n’a-t-on pas dit qu’au moment du voyage, imprudent à coup sûr, que l’impératrice Frédéric a fait en France, il s’en est fallu de bien peu que la guerre n’éclatât ? Nous avons vécu, pendant plusieurs années de suite, sous un régime d’alertes incessantes, et c’est presque un miracle si aucune n’a abouti. Après cela, la légende d’une Allemagne rassasiée et pacifique ne peut être acceptée que sous bénéfice d’inventaire. La meilleure garantie du maintien de la paix est encore dans l’équilibre des forces qui s’est établi à la suite de l’alliance franco-russe. La paix en est devenue plus sûre, parce qu’elle a été consentie au lieu d’être subie. C’est là le très grand service que la double alliance a rendu, non seulement à la France et non seulement à la Russie, mais à l’Europe. Soit pour la paix, soit pour la guerre, nous ne sommes plus exclusivement à la merci d’autrui. Le droit et l’équité reposent incontestablement sur une base plus solide. Tout le monde en