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qui, par son habileté, s’élève dans une branche quelconque d’industrie ou d’art à légal du blanc ne peut compter sur aucune promotion. Un avoué ou un notaire n’osera pas faire asseoir dans son étude, à côté de ses clercs, un jeune homme qui ait une goutte de sang noir, même invisible, dans les veines ; un pharmacien n’emploiera pas l’élève qui lui arrivera, le mieux pourvu de grades et de diplômes, s’il appartient si peu que ce soit à la race condamnée ; un mécanicien habile sera renvoyé de l’atelier le jour où, par malheur, transpirera son fatal secret. Gages inférieurs, situation inférieure, l’homme de couleur, eût-il le teint blanc, ne peut compter que là-dessus ; l’effort, le talent, l’honnêteté, le travail, ne lui servent de rien.

Cette affirmation, avec d’innombrables preuves à l’appui, justifie le conseil que Booker Washington donne aux nègres de rester autant que possible dans le Sud. Et c’est cependant là que la haine de race, quand elle se manifeste, prend l’aspect le plus épouvantable. On sait combien sont fréquens les exemples de justice sommaire appliquée aux nègres coupables du crime irrémissible : outrage ou tentative d’outrage contre une blanche. Durant les deux années qui viennent de s’écouler, le cas s’est présenté plusieurs fois : à Leavenworth, Kansas, un nègre attaché au poteau a été brûlé vif, sans aucune forme de procès, devant une foule de huit mille personnes. Dans le Colorado, la même atrocité s’est produite avec des raffinemens de torture incroyables et une hideuse préméditation, des journalistes, des photographes ayant été invités à assister au supplice. Dans une ville de Géorgie où les autorités firent de la résistance, la prison fut brûlée ; on cite deux enfans tués, une vingtaine d’hommes grièvement blessés. Il a fallu que, le 25 mai dernier, la cour suprême de l’Ohio fît un exemple en rendant le comté responsable de toute injure commise envers les personnes, comme il l’était déjà des attentats envers la propriété. Les magistrats de l’Ohio condamnèrent tout le comté à payer aux héritiers d’un nègre lynché 5 000 dollars, sans compter les dépens du procès. Et c’est justice, car il n’y a pas d’autre moyen d’empêcher des violences commises sans doute par la populace, mais avec le consentement tacite de tous les citoyens.

Un fait plus grave encore que les autres s’est produit le 4 août 1900 à la Nouvelle-Orléans. Un agitateur nègre d’une force herculéenne, Robert Charles, avait opposé aux agens une