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Darmesteter n’était pas seulement au courant du dernier état de la philologie romane, en mesure par conséquent de soumettre à un contrôle méthodique les étymologies proposées jusque-là : il était de ceux qui ne se contentent pas de s’assimiler une science, qui la font avancer : il devait bientôt découvrir une loi importante de l’évolution des voyelles latines en gallo-roman, loi qui avait échappé à ses prédécesseurs et qui a gardé son nom. Mais en outre il s’intéressait tout particulièrement à la lexicologie française : il avait fait ses premières études philologiques, à mes conférences, en vue de publier et de commenter un recueil de mots français du plus haut moyen âge, conservés dans des gloses hébraïques ; il préparait sa thèse sur la formation des mots nouveaux en français et son beau livre sur les mots composés. Et, par surcroît, c’était, lui aussi, un logicien pénétrant, dressé, par l’éducation talmudique qu’il avait reçue, à démêler par le raisonnement toutes les finesses, les nuances, les subtilités même que l’on peut discerner ou imaginer dans un texte ; il avait mis cette gymnastique intellectuelle au service d’un esprit vraiment philosophique, et il y joignait cette faculté d’imagination qui est la condition nécessaire du don d’invention. Il avait d’ailleurs le goût fin et une culture littéraire très complète. Il comprit tout de suite ce qu’il y avait de neuf et de fécond dans la conception d’Hatzfeld ; il la fit sienne, — car c’est bien elle, enrichie de sa science et de ses idées ingénieuses, qu’il a développée dans ce petit livre, devenu classique, de la Vie des mots ; — il se réjouit de pouvoir aider à la mettre en œuvre. En même temps il convainquit Hatzfeld qu’il fallait joindre au dictionnaire une partie étymologique propre, ainsi qu’un historique réduit, et il put bientôt lui proposer un plan pour ces deux parties. Il lui montra aussi qu’il était bon d’étendre la nomenclature plus qu’il n’avait pensé le faire. Hatzfeld apprécia tout de suite à sa valeur le secours qui lui arrivait : du simple auxiliaire il fit un collaborateur à droits égaux, et le Dictionnaire général, — tel est le titre qu’on avait choisi, — dut paraître sous le nom des deux associés. Peu après l’accession de Darmesteter, le comité de lecture cessa de se réunir, ses membres étant distraits par d’autres occupations et trouvant désormais leur collaboration moins utile.

L’idée de Darmesteter, en ce qui concerne l’étymologie, dépassait singulièrement en profondeur et en portée celle de