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bien ! tes opinions le font encore davantage, puisqu’elles te portent à choisir climat, nourriture, milieu. Si donc tu t’assimiles cette pensée de l’Eternel retour, elle te transformera. Cette question posée devant chacun de tes actes : « Est-il tel que je veuille le faire une quantité innombrable de fois ? » c’est là le plus efficace des mobiles. »

Ici, je ne pus réprimer un éclat de rire : « Eh ! sans doute, ce cas de conscience se poserait en effet, si nous étions assurés d’en être à la première de nos existences. Mais comment, après une infinité de vies semblables à la nôtre dans le passé, tirer de cette considération autre chose que le plus complet déterminisme ? Nous referons nécessairement aujourd’hui ce que nous fîmes déjà un nombre incalculable de fois. »

— Attendez, j’ajoute que Nietzsche fait entrevoir, sans grande logique peut-être, la possibilité de modifier le détail en ces existences innombrables. De même Blanqui, mal satisfait du cours des événemens vers 1872, espérait bien réussir mieux une autre fois dans sa carrière d’insurgé impénitent. Pourtant, Nietzsche sent confusément que sa grande pensée doit être révélée avec ménagement à l’humanité, incapable d’en supporter sans préparation les conséquences foudroyantes ; et les oracles volontairement obscurs de son Zarathoustra n’ont pas d’autre mission. En tous cas, si des milliers d’années peuvent être nécessaires à achever son triomphe, quelque jour du moins il sera complet, et l’on verra régner alors une félicité telle que les utopistes mêmes n’en ont jamais rêvé de semblable. Car cette religion nouvelle sera celle « des âmes les plus libres, les plus joyeuses et les plus élevées ; une aimable prairie, entre des glaciers dorés, sous un ciel pur. »

— C’est l’atmosphère calmante de l’Engadine étendue dans toute la surface du globe. Tout cela est fort poétique, et je vous remercie d’avoir guidé mes pas au cours de cette excursion dans les mystères de la pensée contemporaine. Toutefois, gardez-vous de croire que le côté mathématique de ces rêveries ait entamé chez moi les convictions du bon sens. L’x ne séduit pas à ce degré un polytechnicien. Bien au contraire : nul ne le sait mieux que nous, on n’a pas le droit de raisonner sur l’infini comme sur des quantités finies : et c’est, parmi nos camarades, une plaisanterie à l’usage des débutans que de leur faire établir de cette sorte l’équation : deux est égal à un. Nous savons de plus qu’il