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quelconque ; et pourquoi pas par cette gracieuse reine Carmen Sylva, à qui l’un de ces morceaux est dédié ? Nul ne s’apercevrait de la substitution, si du moins l’auteur consentait à rayer de son œuvre deux ou trois strophes sur les soucis nés de sa pauvreté, qui, précisément, semblent déclamatoires et empruntées sous sa plume. Féministe, a-t-on dit d’elle, pour lui prêter une conception de la vie[1]. Ce trait m’a peu frappé, et cette poésie-là prouve tout au moins que le féminisme s’exprime jusqu’ici à mots couverts au foyer du cultivateur, qu’il ne s’est pas encore fait une grande place auprès de la maigre soupe qui chante sur les tisons gris de cendre.

— Eh bien, rassurez-vous. Vous trouverez tout autre chose chez mon paysan souabe, et vous me remercierez de vous l’avoir présenté.

À la suite de cette conversation, je fis plus ample connaissance avec Christian Wagner, et voici ce que j’appris.


Christian Wagner est né en 1835 à Warmbronn, village situé dans la région accidentée et coupée de forêts qui s’étend à l’ouest de Stuttgart. C’est le pays souabe ; et l’on sait combien cette province pittoresque est riche en souvenirs historiques, comme en illustrations intellectuelles. La chaîne des hauteurs qui la traversent va du cône tronqué de Hohenstaufen, maintenant dépouillé de ses tours féodales, vers le rocher de Hohenzollern, berceau de la race impériale restaurée, et qu’on voit de nouveau pesamment chargé par sa couronne de murailles modernes : toute l’évolution politique de l’Allemagne, apparue dans un décor alpestre.

C’est dans ce cadre qu’a vécu le paysan-poète, qu’il vit encore, humblement, pauvrement, à l’occasion bûcheron ou terrassier, d’ordinaire cultivant son petit champ, tirant le lait de sa vache et nettoyant chaque matin l’étable. Cet homme, à l’œuvre duquel un critique en vue, un collaborateur de l’Allgemeine Zeitung, vient de consacrer un long volume enthousiaste[2], continue et continuera sans doute de mener l’existence la plus modeste et la plus étroite ; car, quand bien même l’occasion lui en serait offerte par quelque Mécène., il semble

  1. Voir Kuno Francke, Glimpses of modem German Culture, New-York, 1898.
  2. Richard Weltrich, Christian Wagner, Stuttgart, 1898.