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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/866

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enfantines annonçaient la tournure d’esprit rêveuse, contemplative et tendre qui devait être celle de l’homme fait. Wagner apprit ainsi de bonne heure que la vertu ne suffit pas à mériter l’estime du monde.

Pourquoi faut-il que la beauté de l’âme ne se reflète même pas dans celle du corps ? Notre paysan se souvient aussi d’avoir rencontré sur une grande route, au temps de l’éveil de sa pensée, un jeune homme juif de figure charmante, et dont l’aspect lui inspira une sympathie involontaire. Il se rapproche alors, et lente de fier conversation sur quelque sujet élevé, avec ce voyageur favorisé de la nature. Il l’interroge sur l’histoire et les traditions d’Israël. Mais, pour toute réponse, son interlocuteur s’informe s’il ne trouverait pas à acheter, dans la région, du vieux cuivre et du plomb hors d’usage. Un épicurien se fût réjoui peut-être à l’apparence aimable du passant, sans s’informer imprudemment de l’exacte correspondance entre le physique et le moral chez l’objet de son admiration. Un esthète eût consolé son désappointement en songeant à l’axiome de Renan sur la beauté qui vaut la vertu. Des siècles de culture chrétienne ont autrement disposé les cœurs simples. Wagner demeura blessé d’une discordance choquante à ses yeux, et n’oublia jamais cette déception morale. Toute sa vie, il a cherché des âmes derrière les apparences corporelles des choses, et, toujours, il a conçu en harmonie parfaite ces deux élémens de l’être.

Rien de saillant d’ailleurs en cette vie uniforme et médiocre, absorbée en grande partie par le souci du pain de chaque jour. Il faut y noter cependant deux mariages successifs : le premier (1865) auquel nul enfant ne survécut ; le second (1871) plus heureux, relevé par la valeur intellectuelle de la femme, qui se montra capable d’apprécier la culture supérieure de son époux, et de s’en approprier elle-même quelque reflet, car des études médicales la mirent en état d’exercer la profession de sage-femme dans la campagne. Une situation plus prospère semblait promise au ménage, lorsqu’une maladie implacable atteignit et bientôt emporta cette infortunée, qui, sous le nom supposé de Clara, continua de tenir la plus grande place dans la pensée et dans la poésie de Wagner.

Voilà tout le côté matériel de cette humble existence : le côté littéraire en sera presque aussi rapidement exploré, si nous nous en tenons tout d’abord à la genèse et au titre de ses