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tête, sordide et débraillé. N’est-ce pas lui qu’on avait vu, dans une autre caricature, appelant les envahisseurs : « Vite, citoyens, vite ! » Les « citoyens » ont répondu à l’appel. Ils arrivent, agitant leurs chapeaux empanachés et traînant dans la poussière les longues basques de leurs habits galonnés. Un de ces fantoches, que le caricaturiste s’est efforcé de rendre à la fois grotesque et terrible, pénètre dans le parlement, où il réédite un mot historique avec certain post-scriptum très significatif. Désignant la masse qui repose sur la table devant le speaker, il crie à ses grenadiers : « Enlevez-moi ce joujou !… Et, s’il y a de l’or après, qu’on le porte dans ma chambre ! »

Suppression des libertés publiques et pillage des propriétés individuelles, voilà ce qu’apportera la République aux Anglais. Et le mal ne sera pas confiné aux villes. Gillray conduit les envahisseurs au fond des campagnes, Hogarth assurait ses compatriotes que nous voulions leur prendre leur bœuf et leur bière ; Gillray les prévient que la République les mettra au régime de la soupe maigre et des grenouilles rôties. De plus, on leur dérobera leurs femmes, « qui sont les plus belles femmes du monde. » Ce n’est pas tout : on installera sur l’autel un Etre suprême de fabrication française, à la mode des théophilanthropes, ou même (qui sait ! ) une vivante déesse qui sera une insulte au bon sens et à la décence. Ainsi voilà John Bull menacé de perdre à la fois son Dieu, son roi, sa femme, son argent et son roastbeef. Comment une telle combinaison de dangers ne triompherait-elle pas de son apathie ? Une armée de volontaires est debout. L’occasion est excellente pour se déguiser en soldats, pour prononcer des discours pleins de rodomontades, pour porter des toasts à la gloire de celui-ci et à la confusion de celui-là, pour parader dans la grande rue, au son de la musique militaire, pendant que les jeunes filles, aux fenêtres, agitent leurs mouchoirs et jettent des fleurs. Rowlandson a chronique tout ce mouvement dans une longue suite de dessins qui ne devaient certes pas, dans l’esprit de leur auteur, être des caricatures et qui ont dû contribuer à élever l’esprit public vers cette haute température où Pitt voulait le maintenir. Ces moyens, tout artificiels, eussent peut-être échoué, si de réelles victoires n’étaient venues donner un aliment à l’enthousiasme anglais. La destruction de notre flotte de transports près de Bruges et le succès de Nelson à Aboukir inaugurèrent une ère de triomphes maritimes dont le caricaturiste