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regagner l’avance ; toutes se piquaient d’émulation, et l’on a vu qu’en France l’activité législative en matière de travail fut rarement aussi grande ou plus grande que dans les années qui suivent immédiatement 1890, de 1891 à 1895. S’il en fut de même partout, cela encore est un fait considérable, car c’est l’avènement d’une politique nouvelle.

Cette politique se pourrait définir : une politique de concessions et de conciliations, la politique du sacrifice et de la justice nécessaires. Il y a cinquante ans, Félix Pyat, dans un discours dont l’Assemblée nationale n’entendit que la première partie, invitait « la bourgeoisie » et « les bourgeois » à s’immoler sur l’autel de la Patrie : « Le débat est désormais entre le seigneur souverain, Capital, et le citoyen, Travail. Le capital est donc dans la même position que l’aristocratie en 89. S’il veut tout garder, il perdra tout. Il faut qu’il ait sa nuit du 4 Août, sa part de concessions, son tour de dévouement. Nous ne pouvons nous sauver que par le sacrifice. »

Signifiée ainsi, brutalement, avec cet air comminatoire, la sommation était inacceptable. Et que venait-on parler d’une seconde nuit du 4 Août là où il n’y avait plus ni privilèges, ni privilégiés ? Mais d’autres, depuis, qui n’étaient pas des insurgés, des révoltés, de perpétuels remueurs de pavés et de professionnels fabricans de barricades, d’autres qui n’étaient pas des artisans de trouble et des attiseurs d’incendie, qui, au contraire, comptaient parmi les quelques hommes d’Etat sur lesquels l’Europe pouvait se reposer, et parmi les plus « conservateurs » de ces hommes d’Etat, les plus attachés à l’ordre existant, à l’ordre ancien, à ce que de tout temps on avait appelé l’ordre, — d’autres, à leur tour, ont dit : « Il faut que les classes dirigeantes d’autrefois, si elles dirigent encore aujourd’hui quelque chose, mettent à profit le répit qui leur est laissé ; la classe moyenne, surtout, qui, par indifférence ou par imprévoyance, est en train d’abdiquer sa suprématie politique. Qu’elle ne s’endorme pas, pour Dieu, dans les douceurs de son triomphe, déjà si mal assuré, sur les autres classes sociales. Ainsi dormait l’aristocratie française quand la secouèrent les coups de la guillotine qui tombait. »

Et pourquoi faut-il réveiller « les classes dirigeantes » la « classe moyenne ? » Que doit faire la bourgeoisie, que l’aristocratie ne fit pas ? « La science moderne, le droit moderne, la