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violence, c’était bien : tout homme d’Etat qui connaissait son devoir et savait son métier était fixé à son égard : il en était de lui comme de l’anarchie ; à la force, la force ; aux bombes, les baïonnettes ; aux fusils, les canons. Mais le suffrage universel, la transformation légale de l’État par la toute-puissance législative du Nombre, d’autres transformations encore dans les lois, dans les mœurs et dans l’opinion, ont légalisé, parlemenlarisé, et même ministérialisé le socialisme. Ne disons pas trop de mal de ceux qui le légalisent, le parlementassent et même le ministérialisent : en un certain sens, ils nous rendent tout de même service, mais à la condition de les suivre et de le suivre sur ce nouveau terrain, à la condition de manœuvrer en face d’eux comme ils manœuvrent en face de nous. Ils ont compris que, par la force seule, ils ne vaincraient pas : à nous de comprendre que, par la force seule, nous ne nous sauverons pas et que ce serait tout ensemble un crime et une faute que de faire appel à la force avant d’avoir épuisé la justice.

M. de Bismarck, ce terrible praticien de la force, M. Canovas, ce froid théoricien de la force, Guillaume II, ce lyrique et ce mystique, j’oserai dire ce théologien couronné de la force, tous trois étaient amenés à en convenir : « Le désir que j’ai de trouver des moyens de répression contre les socialistes, avouait Bismarck au Reichstag le 20 mars 1884, je l’appuie sur la conviction que les sujets de plainte réels que font valoir les ouvriers peuvent être atténués ou supprimés. » Guillaume II disait de même, à l’ouverture de la session du Parlement impérial, après la Conférence qu’il avait convoquée : « A mesure que la population ouvrière se rendra compte des efforts de l’Empire pour améliorer sa condition, elle prendra une conscience plus claire des maux qu’attirerait sur elle la revendication de réformes excessives et irréalisables. Cette juste sollicitude envers les ouvriers constitue la plus grande force de ceux qui, comme moi et mes augustes confédérés, sommes dans l’obligation de nous opposer à toute tentative destinée à troubler l’ordre, et sommes résolus à remplir une telle mission avec une énergie inébranlable. » M. Canovas, de son côté, consacrait discours et écrits à montrer qu’en présence du socialisme légalisé, et parlementarisé par le suffrage universel, aux « revendications excessives et irréalisables » duquel se mêlent d’ailleurs des revendications modérées et raisonnables qu’il entraîne et dont il se grossit, qui, de plus, dans la