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allemande contemporaine à fonder la religion sur l’art, l’importance considérable, le rôle futur si éminent qu’un lettré comme M. Weltrich attribue sans sourciller au modeste cultivateur de Warmbronn, dont la muse paraît bien humble, le souffle bien exigu pour mériter à première vue ces débordemens d’enthousiasme. « Une race viendra, dit ce critique, qui honorera en Wagner un voyant, un éducateur de la pensée et du sentiment humain, tel qu’on en a peu vu de semblables : un saint de la vie et un grand prêtre du beau. »

De plus, la foi nouvelle rencontre en ce moment à l’autre extrémité de l’Allemagne, dans l’atmosphère brumeuse de la capitale de l’Empire, un écho si fidèle, qu’il faut lui reconnaître un véritable fondement dans les besoins actuels de l’âme germanique. Un homme dont le passé est aux antipodes de celui du paysan souabe, dont l’existence agitée et sans cesse engagée dans la mêlée la plus ardente des idées du temps présent forme un parfait contraste avec la vie uniforme du cultivateur de Warmbronn, le docteur Bruno Wille, qui fit tant de bruit dans Berlin, il y a quelque dix ans, par ses démêlés avec Bebel et son expulsion du parti socialiste, qui dirige depuis lors la « Communauté de la libre religion » avec ses nombreux adeptes, son culte d’aspect protestant et ses doctrines de libre pensée, Wille s’est engagé, consciemment ou non, depuis quelque temps, sur les traces de Christian Wagner. Ce grand Prussien, à la carrure puissante, aux allures originales, habitué à manier les foules industrielles des faubourgs, s’est pris à caresser doucement, comme le frêle Wurteinbergeois, les humbles plantes des campagnes, à réclamer d’elles leurs secrets. Et leur réponse concorde avec celle dont le Promeneur du Dimanche a perçu le murmure discret. Déjà l’Ermitage sur la lande aux pins, Ermite et Compagnon avaient annoncé cette évolution chez le bouillant canotier du Krampensee. Les Révélations du genévrier[1], tel est le titre du roman en deux volumes que ce fondateur de secte vient d’offrir aux méditations de ses fidèles. Or, sa religion actuelle paraît se confondre sensiblement avec celle dont nous venons d’entrevoir les grandes lignes dans une œuvre plus vieille de quinze années. Deux interlocuteurs, le poète Bruno, et le savant médecin Oswald, — c’est précisément le pseudonyme de

  1. Offenbarungen des Wachholderbaums, Leipzig, 1901.