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préposées à la sûreté du souverain : Bourrienne, le secrétaire intime ; Moncey, le premier inspecteur de la gendarmerie ; Junot, le gouverneur de Paris ; Savary, le commandant des gendarmes d’élite ; Duroc, le grand maréchal du palais. Il sentait ensuite percer autour de lui l’hostilité des autres ministres, irrités de ses empiétemens inattendus, et cependant inévitables, sur leurs fonctions. Enfin, malgré la confiance qu’il inspirait, il dut compter avec les circonstances, avec les courans passagers d’opinion auxquels Napoléon lui-même était contraint de céder. Deux fois il fut mis à l’écart, aux deux momens les plus brillans du Consulat et de l’Empire.

Sa première disparition date de 1802 et coïncide avec deux actes importans : le Concordat et l’amnistie des émigrés, qui marquèrent une évolution sensible du gouvernement vers les idées conservatrices et les institutions d’autrefois. En même temps, se posait la question du Consulat à vie ; l’ex-conventionnel, jaloux de donner un gage à ses anciens amis, fit si bien que le Sénat consulté se crut généreux en n’offrant à Bonaparte qu’une prolongation de pouvoir pour dix ans. Le Premier Consul, décidé à passer outre, fit payer à Fouché cette manifestation intempestive. Sous prétexte que la paix d’Amiens rendait le ministère de la Police désormais inutile, il le supprima et relégua le ministre au Sénat, en ajoutant d’ailleurs à cette sinécure l’octroi d’une riche sénatorerie et la promesse d’être rétabli dans sa fonction, si celle-ci redevenait nécessaire.

On eut alors la malencontreuse idée de confier la direction suprême de la police au grand juge : mesure aussi étrange, disaient les méchantes langues, que le serait l’inspection des mauvais lieux mise entre les mains de l’archevêque de Paris. Régnier fit en effet assez piètre figure sous sa simarre, quand il descendit en personne dans le cachot de Pichegru. Cependant Fouché continuait à faire parvenir aux Tuileries ses bulletins, bien payés, qui accusaient à chaque page la négligence ou l’impéritie de son successeur ; peut-être est-ce lui qui, par ses renseignemens sur tel ou tel opposant suspect, donna l’éveil au Consul sur la grande conjuration de 1804. En tout cas, il profita des fautes commises, au milieu de cette crise, par Régnier et Real ; il se tint habilement en dehors de l’affaire du Duc d’Enghien, qu’il aurait même qualifiée d’un mot bien connu : « C’est pis qu’un crime, c’est une faute. » Aussi, lorsque le Consulat à vie se