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Par conscience ou par métier, pour le bien public ou pour les besoins de la « copie, » les journalistes sont de terribles réformateurs. Qu’un vieux conseiller à la cour, confucéen retardataire, déplore en plusieurs colonnes que les femmes des samuraïs forlignent de leur austère obéissance et que la Restauration ait noyé leurs vertus dans l’obscure médiocrité des classes inférieures « comme un peu d’eau claire dans une cuve d’eau noire ; » toute l’éloquence d’un vieux conseiller à la cour ne saurait prévaloir contre ce simple fait divers :


Hier, pendant la fête de la déesse Kwannon, trois jeunes filles ont quitté leur famille et sont allées se noyer dans un étang. On a retrouvé sur la rive leur getas avec une lettre où elles annonçaient leur résolution de mourir pour échapper aux douleurs du mariage.


Ce fait divers, qui pénètre partout, avertit et surexcite les jeunes filles, inspire aux femmes d’amers retours, aux hommes une réflexion plus grave. Et, à la tête des hommes qui ont réfléchi et qui ont pris courageusement le parti de la femme, Fukusawa, écrivain, journaliste et chef de la plus grande institution libre, déploie une activité de prédicant et une fougue de ligueur. Personnage d’autant plus considérable qu’il n’a jamais accepté de poste ni de mandat officiel et qu’il compte au parlement vingt ou trente de ses anciens élèves. Nourri du génie anglo-saxon, il en a l’âpreté, l’étroitesse presbytérienne et aussi l’opiniâtreté. Comme il ébranla jadis les privilèges des samuraïs, il dénonce aujourd’hui les plaies sociales, sans se rendre toujours bien compte que les théories qu’il a prématurément vulgarisées ont peut-être contribué à les élargir et les envenimer. Je traduis à peu près textuellement quelques passages d’une de ses improvisations recueillie par un reporter et reproduite par la presse :


Vous bâtissez des écoles, mais à quoi servira l’instruction que vous comptez donner aux femmes ? Ce qu’il faut changer, c’est leur rôle humiliant dans la société. Au Japon, la femme est un objet à vil prix, et Tokyo se transforme en foyer de débauche. Les concubines que l’homme cachait autrefois, maintenant il les affiche. Veut-on se marier ? On achète une geisha, voire une oïran, et l’on est un rude gaillard ! Regardez d’où sortent les femmes de nos parvenus ! Au centre de Tokyo, au centre le plus resplendissant, vous trouvez la courtisane et le concubinage… Mais voici une réception, un banquet, A peine les gens du monde suivis de leur femme sont-ils installés devant leurs tables, que de partout des geishas accourent. Des