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L’AUTRE AMOUR



PREMIERE PARTIE



I


Je venais d’atteindre mes dix-neuf ans et de terminer la classe blanche que nous nommions avec orgueil « le Cours supérieur ; » j’étais tout occupée des derniers examens et de mes préparatifs de départ, lorsque ma mère, m’ayant emmenée au fond du parloir où sa tendresse assidue m’avait habituée à la visite de chaque semaine, prit un air grave et me dit :

— Ma petite Christiane, tu espères quitter dans quelques jours cette maison où tu t’es un peu à tort considérée comme prisonnière, depuis que je t’y ai amenée voilà bientôt dix ans !

Pour se représenter l’angoisse avec laquelle j’accueillis ce préambule, il faut savoir que je tenais en effet le compte exact des jours de ma détention, et qu’il ne m’en restait plus que huit pour atteindre les vacances, celles qui n’auraient plus de terme en octobre. C’est pour cette date de ma libération que j’avais vécu depuis tant d’années… Allait-on la reculer ?… Étais-je menacée d’une prolongation de peine, n’avais-je pas fini mes études et remporté tous les prix sans redoubler une classe ? Plusieurs m’étaient encore promis pour le dernier concours.

Voyant mon trouble, mère hésitait à poursuivre.

— Eh bien ! qu’y a-t-il ? demandai-je.

Pauvre maman, comme il lui en coûtait de me l’avouer !…

— Çhristiane, nous sommes pauvres !… Il nous est impossible