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Il est vrai que ces sortes de guerres sont quelque peu tombées en discrédit, parce que, trop souvent, ceux qui les pratiquent se sont laissés aller à commettre d’atroces cruautés. Instinctivement, à entendre le mot de guérilla, on se sent porté à songer aux histoires sanglantes où jamais l’on ne faisait de quartier, et où les bandes infligeaient le supplice de mille morts aux malheureux qui tombaient en leurs mains. Mais, tout le monde le sait, avec les Boers, c’est précisément le contraire. Les Boers ont conduit toute cette guerre d’une manière très douce, je serais tenté de dire trop douce et trop généreuse. En vain les Anglais ont brûlé et dévasté leurs champs et leurs fermes, ont fait subir à leurs femmes et à leur enfans, dans les camps de concentration, un traitement qu’il vaut mieux ne pas qualifier, mais que les révélations de miss Emily Hobhouse[1] nous ont suffisamment, fait connaître : les Boers continuent à remettre en liberté, sains et saufs, les prisonniers de guerre qu’ils font par milliers. Ils se contentent de leur emprunter leurs munitions et souvent aussi, — il faut l’avouer, — leurs chaussures.

L’accusation semble donc peu fondée, que les Boers feraient la guerre « d’une manière irrégulière. » Si pourtant l’on entend par ce mot : « d’une manière irrégulière, » qu’ils font la guerre « peu stratégiquement, » « peu scientifiquement, » cela est vrai. Mais c’est de cela qu’il faut les louer. Ce sont des tacticiens naturels ; et c’est un grand capitaine qui conseillait de changer de tactique tous les dix ans. Seulement, « faire la guerre d’une manière irrégulière, » dans la langue du droit des gens, cela signifie tout autre chose. Le baron Jomini a défini ce que c’est vraiment que « la guerre faite d’une façon irrégulière, » quand il a dit, dans la séance du 17 août 1874 de la Conférence de Bruxelles : Il y a guerre irrégulière, « si l’entraînement patriotique est abandonné à lui-même, sans direction, sans organisation, sans règles, sans précautions. »

Or, chez les Boers, tout est ordonné, organisé, en commandos

  1. Report to the Comittee of the Distress Fund for South-African Women and Children. Ces jours-ci, miss Emily Hobhouse a fait parvenir au ministre de la Guerre une protestation énergique contre la condition meurtrière qui est faite aux enfans boers, dans les camps de concentration, où, suivant elle, on leur marchande les moyens de vivre. Elle appelle son attention sur les listes officielles de mortalité, d’où il ressort que dans les camps de concentration, en juin, juillet et août derniers, 3 245 enfans ont succombé, tandis que le chiffre normal des décès n’aurait dû être que de 272.