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ainsi d’une phrase entière, qui, étant toute composée de mots connus et entendus, peut être toute nouvelle, et néanmoins fort intelligible, de sorte qu’un excellent et judicieux écrivain peut inventer de nouvelles façons de parler qui seront reçues d’abord... »

Tel est bien le vrai moyen d’enrichissement des langues, et celui qui leur permet de suivre, à quelques années près, le mouvement ou le progrès des idées. S’il faut des mots nouveaux, on ne les rejettera pas systématiquement, mais on prendra garde qu’ils aient toujours une signification propre et précise qui ne fasse double emploi avec aucun autre mot de la langue ; et on se souviendra que la richesse d’une langue ne consiste pas tant, à vrai dire, dans l’étendue de son vocabulaire ou dans l’abondance de sa synonymie, que dans la liberté de son tour et dans la souplesse avec laquelle elle associe d’une « façon toute nouvelle » des mots « connus et entendus. » Les mots nouveaux doivent correspondre à des « réalités » nouvelles ; et, par exemple, si l’on possède celui de Fonder on n’a pas besoin du mot Baser pour ne signifier rien d’autre ni de plus. Aussi bien, la plupart du temps, beaucoup de mots nouveaux ne sont-ils que le produit d’une espèce d’embarras, d’impuissance où nous sommes de dire, avec les mots de l’usage, tout ce que nous voudrions dire. Et, pour ceux qui s’engendrent du désir ou de l’affectation de n’être pas entendu de tout le monde, ils vont précisément à l’encontre de l’objet même du langage. Mais la liberté qu’il faut que l’on maintienne, et la seule qui importe, parce que, du même coup qu’elle assure le caractère « national » d’une langue, elle lui permet en tout temps de suivre le progrès « actuel, » c’est celle de la construction, et, pour en faire en passant la remarque, je ne sache rien qui distingue plus profondément le style du XVIIIe siècle français de celui du XVIIe siècle.


VI

Pour s’en rendre compte, il suffit de noter un dernier caractère que Vaugelas assigne au bon usage, et qui est d’être conforme à l’usage « parlé. » Il ne faut pas, dit une leçon encore trop répandue, à mon gré, jusque dans nos écoles, il ne faut pas écrire comme l’on parle. Vaugelas a enseigné précisément le contraire. « La plus grande erreur en matière d’écrire est de croire, a-t-il dit, qu’il ne faut pas écrire comme l’on parle. Ils