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essayé de persuader à ses contemporains qu’il n’y a pas « d’état littéraire, » et en vérité, de nos jours même, je ne sache guère de leçon plus utile.

Car, si nous la suivions, et si nous tâchions de nous y conformer, c’est le plus sûr moyen, le seul peut-être qu’il y ait en écrivant d’être « naturel, » ou, si l’on veut encore, c’est le seul moyen que l’on connaisse d’écrire en « honnête homme » et non pas en « auteur. » Parler la langue de tout le monde, mais la parler comme personne, tel pourrait donc être le résumé de l’enseignement de Vaugelas. « Actuel » et purement « français, » « aristocratique, » dans le sens que nous avons essayé de définir, et « parlé, » le bon usage, le bel usage n’a rien de mystérieux, ni de cabalistique, ni seulement de très éloigné de l’usage commun ; et il n’en est, à vrai dire, que l’épuration. C’est pourquoi ce ne sont point les pédans, ni même les érudits ou les grammairiens qui en détiennent la science ou l’art. Mais ce n’est pas non plus le peuple. Ce sont les « gens du monde ; » ceux qui n’ont point d’ « enseigne, » comme dira bientôt Pascal ; et, quoi qu’ils veuillent exprimer de neuf, ce sont ceux qui, bien loin d’étaler la nouveauté de leur pensée, se donneraient plutôt le délicat plaisir de la dissimuler, en n’employant à la traduire que les mots du commun usage.


VII

Nous comprenons, s’il en est ainsi, le succès des Remarques de Vaugelas et la longue autorité qu’elles ont exercée dans l’histoire de la langue. Elles ont, comme nous le disions, paru justement à leur heure, et sa théorie de l’usage a concilié deux tendances qui, jusqu’alors, avaient semblé plutôt se contrarier et se combattre : celle qui ne voulait voir dans la langue qu’un instrument d’échange ou de communication des idées, et celle dont l’ambition était d’en faire une œuvre d’art. Nous avons essayé de dire comment et par quels moyens la conciliation s’était faite. En donnant au bon usage pour premier caractère d’être « national » et d’être « actuel, » les Remarques l’ont émancipé de la double influence de l’imitation étrangère et de la tradition gréco-latine. On sait assez de quel poids l’une et l’autre avaient pesé, pour ainsi dire, sur la langue de la Pléiade. Si l’on ne le savait pas ou qu’on l’eût oublié, il suffirait de relire les Dialogues