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décisive du succès, l’essence même du régime pénitentiaire ; en quoi serait-il chimérique de penser qu’en France on trouverait dans chaque ville des hommes prêts à exercer le même ministère ? Quel est le professeur de droit pénal qui refuserait de présider un comité de visiteurs ? Une fois cette mission acceptée et exercée régulièrement, non seulement le prisonnier en éprouverait un soulagement, mais l’administration y trouverait un point d’appui. Cette collaboration redresserait les abus et ferait tomber plus d’un préjugé. Le régime pénitentiaire mieux compris trouverait de plus nombreux défenseurs et l’opinion publique, trop distraite en ce moment de ces graves questions, hâterait l’achèvement d’une réforme qui a eu pour partisans tous ceux qui l’ont étudiée.

Ainsi, partout où le législateur a eu pour but l’amélioration morale de l’homme, le fonctionnaire peut commencer la besogne : il est impuissant à l’achever. Il lui faut des collaborateurs que ne donne pas la promulgation d’un texte et qu’anime un sentiment supérieur. C’est une des lois mystérieuses de notre nature que le progrès moral ne puisse être dû qu’à celui qui aime l’homme. Pour réussir, il ne s’agit pas de donner un effort, il faut se donner soi-même. Ce qui est chimérique, ce n’est pas de demander ces vertus aux particuliers, c’est de les attendre de tous les agens chargés d’un service public.


II

On a dit excellemment que, si chacun faisait son devoir, il n’y aurait pas de question sociale. L’initiative privée a devant elle un champ sans limite : c’est elle qui doit, en se réveillant, ramener la vie dans nos sociétés engourdies ; c’est elle qui doit apprendre aux hommes, avec l’association sous toutes ses formes, l’usage de la liberté, qui doit renouveler nos mœurs en substituant partout à l’inertie le travail, au découragement l’espérance. C’est elle seule qui peut et doit nous sauver dans ce siècle qui commence. Croire que la loi peut tout est la plus dangereuse des utopies. La loi ne fait pas les citoyens, elle s’en sert, et si l’on y regarde de près, elle ne peut vivre que par eux. Il y a longtemps que la sagesse antique s’est écriée : Quid Ieges sine ‘inoribus ?

Dans nos sociétés modernes, il y a deux sortes de lois : les