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il chemine vers la frontière, vers la Navarre et Pampelune. Il attend le signal : dès qu’il le reçoit, il s’embarque déguisé en matelot, il arrive à Valence. Les troupes sont sur pied, en tenue de campagne. Il n’y a plus qu’à « jeter le cri. » Mais le capitaine-général est avisé, le commandant en second s’obstine à ne pas marcher ; D. Juan Prim n’a que le temps de sauter par une fenêtre et de s’échapper dans une barque de contrebandier qui le dépose à la côte, d’où il gagne comme il peut, vers un coin perdu des monts de Navarre, la frontière française. Il la franchit travesti en paysan et conduisant un char à bœufs.

C’est le quatrième échec ; cela se romantise et se dramatise ; cela se corse, et cela se gâte. Cela tourne un peu à une équipée de « brigands, » — prenez le mot au meilleur sens héroïque et poétique ; — mais il est temps de hausser l’équipée à l’épopée et de lui imprimer de plus larges et de plus franches allures. Puisque à son tour la province n’a pas donné, Prim va relier partie avec la capitale. Madrid et ses environs sont garnis de troupes, parmi lesquelles, malgré l’épuration, il a encore des amis, ou il s’en fait, malgré les précautions. Il ne s’endort pas à la besogne et fixe la date au 2 janvier 1866. Ce matin-là, il sort de Madrid en voiture, comme pour aller à la chasse, court au rendez-vous, et n’y trouve que deux régimens de hussards, au lieu des huit ou dix qu’il y pensait trouver. Il n’en est surpris qu’à demi, étant prévenu lui-même que le ministère a été prévenu, et, en dépit de cette contrariété, il décide de ne point surseoir. Mais on s’est mis à sa poursuite, et d’autres régimens, demeurés incorruptibles, s’avancent contre les siens. Alors il entreprend cette extraordinaire série de marches et de contremarches, en lacet, en spirale, en étoile, en rosace, en damier ou en échiquier, où ses 800 hommes font en dix-sept jours 720 kilomètres, festoyant et dansant des habaneras, à toute minute sur le point d’être atteints, jamais rejoints en réalité, jusqu’à ce que, chefs et soldats, ils passent tous ensemble, après un dernier toast, la frontière de Portugal.

Mais don Juan Prim est de ces hôtes que les gouvernemens ne retiennent pas : le gouvernement portugais lui fait courtoisement comprendre qu’il le verrait avec plaisir porter ailleurs sa tente et ses trames, car le marquis de Los Castillejos supporte ce cinquième échec comme les quatre précédens. Ce sont autant de coups de fouet qui excitent, eu l’irritant, ce nerveux et ce bilieux ; il va faire une cure aux eaux, et, de Vichy, de Paris ou de