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Montpensier. Prim le caresse et le calme. On verra. Renversons d’abord. Le peuple reconstruira par la main de son maçon ordinaire, le suffrage universel. Topete tient au moins à poser ses conditions : — La haute direction à Serrano. — Et Prim : « Je n’ai jamais prétendu à la première place. » — La couronne sera transférée à la Duchesse. — Et Prim : « Les Cortès constituantes décideront. »

Cette nuit du 17 au 18 septembre 1868 marque le tournant de la vie de don Juan Prim. Voici l’aube : on fouille l’horizon, la Buenaventura n’apparaît pas. — « Attendons, » implore Topete. — « On ne peut plus attendre, » répondent Prim, Sagasta, Zorrilla et leurs amis, qui sont en force. Un peu à contre-cœur, l’amiral se résigne. El le 18, à midi, dans le midi resplendissant de là-bas, l’escadre se déploie en ligne de bataille et s’avance sur la conque bleue où sommeille Cadix toute blanche. « Vive la reine ! » crie-t-on, selon l’ordonnance. Du haut de la passerelle, Prim et Topete répliquent : « Vive la liberté ! » Et les équipages reprennent : « Vive la liberté ! » C’est toujours elle qu’on acclame quand on ne sait qui acclamer ; l’escadre la salue de vingt et un coups de canon. Tout ce bruit réveille la ville paresseuse, mais elle ne s’étonne pas et s’indigne encore moins. Le plus fort est fait. Le lendemain 19, dans la soirée, la Buenaventura amène enfin les généraux déportés. Trente-six heures trop tard : c’était bien le tour de Prim de n’être pas devancé !

Néanmoins Serrano, soutenu par Topete, s’ingénie à reprendre la « haute direction » du mouvement. Prim laisse faire, Serrano signe le premier et lancer les proclamations : il importe peu à Prim. Serrano s’arroge le commandement des forces qui vont marcher sur Madrid : Prim ne le lui conteste pas. Ce n’est pas assez de sûretés encore ; Serrano écarte ce rival dangereux en le priant d’aller « révolutionner » l’Est et le Nord-Est : Prim accepte d’être écarté. Tandis que Serrano remporte sur Novaliches et l’armée loyaliste la victoire d’Alcolea, Prim remporte autant de victoires qu’il visite de villes. Il n’est pas un gamin des rues, pas un vendeur de la lista grande, pas un habitué de la plus modeste tertulia, qui ne sache que c’est lui, avec Topete, qui a fait le pronunciamiento, et que Serrano n’y était pas. Partout où il se montre, ce n’est plus de la joie, ni de la gloire, ni de la popularité, ni de l’enthousiasme ; ce n’est plus un triomphe, ni même une apothéose ; c’est du délire, de la folie, c’est la ruée