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pente des événemens l’avait empêché d’en prendre, mais Prim n’était ni fâché qu’il eût été formé, ni incapable de l’avoir suggéré.

La seconde fois qu’il toucha au trône, et qu’il y toucha de beaucoup plus près, — ce fut pendant sa dictature, — quel autre nom donner aux deux années 1869 et 1870 où véritablement il connut la plénitude de l’omnipotence ? Durant ces deux années, il eût pu tout ce qu’il eût voulu. Il eût pu être Cromwell, il eût pu être Monk, il fut Warwick. Après avoir renversé une reine, il se mit à chercher un roi. Lui qui, au Mexique, avait prévu le peu de solidité qu’offrirait une dynastie importée, il ne s’arrêta pas devant cette réflexion qu’en Espagne, une dynastie étrangère serait sans doute moins stable et moins durable encore. Car, une telle réflexion, comment croire qu’il ne la lit pas ? Mais, s’il la lit, comment concevoir qu’il ait passé outre ?

Des bancs républicains on l’interpelle : « Pour faire une monarchie, il faut un roi ! — Ne vous inquiétez pas, répond-il, j’en ai plusieurs. » Deux années durant, il en a tant qu’il n’en a pas. Léopold de Hohenzollern, Frédéric-Charles de Prusse, Philippe de Cobourg, l’archiduc Charles d’Autriche, Ferdinand de Portugal, le duc de Gènes, les princes de Saxe, il y épuise l’Almanach de Gotha. Les uns se dérobent, les autres se brisent ou lui sont brisés dans la main. Ils s’usent les uns par les autres, et, les uns avec les autres, ils usent l’idée d’une dynastie étrangère. L’Espagne en est-elle réduite à ce point que, voulant un roi, elle doive l’aller mendier de porte en porte ? N’a-t-elle pas la double ressource ou de se passer de roi, ou, pour se donner un roi, de se passer de prince ? Ici, tout doucement, et sans insister, reparaît le « soldat heureux. » Mais le soldat heureux, qui sera-ce ? Prim ? — Non ; Espartero. — Et si, très vieux, Espartero refuse, ou s’il n’est pas élu, ou s’il meurt, qui donc après lui ? — Dans aucune de ces hypothèses, Prim n’est définitivement éliminé. L’élection même du duc d’Aoste et son avènement sous le nom d’Amédée peut n’être qu’une solution provisoire, et plutôt un ajournement qu’une solution. C’est le prince étranger, ce n’est pas le soldat heureux ; fondera-t-il vraiment une dynastie nationale ou fera-t-il seulement dynastie ? Il faut peut-être, au préalable, que l’Espagne en essaye et s’en lasse. Gagner du temps, ce n’est pas tout perdre ; quelquefois c’est tout gagner.

Qui sait ce qui serait advenu si don Juan Prim eût été là,