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l’ignominieux Collier. On ne peut pas exagérer l’influence de « l’Affaire » sur le caractère, la vie, la mort de Marie-Antoinette. M. de Nolhac, et après lui M. Funck-Brentano, ont eu mille fois raison de rattacher à ce fil la destinée de la Reine. Et si nous faisions en d’autres temps quelque difficulté d’admettre qu’un arrêt judiciaire eût pu déterminer les plus graves événemens d’une époque, nous savons maintenant quels ébranlemens profonds et funestes elles laissent, ces grandes causes qui passionnent l’opinion.

La série des portraits de Marie-Antoinette suffirait à démontrer que le malheur est le meilleur des éducateurs. Elle n’en eut pas d’autre. Suivez l’ascension du type, depuis la fantasque jeune femme qui porte sur sa tête vide ces ridicules pyramides d’objets, désespoir de Marie-Thérèse, jusqu’au poignant tableau de Kucharsky fait au Temple, en 1793. Sous le pauvre fichu et le pauvre bonnet de veuve qu’elle doit « à la générosité de la République, » les traits modelés par la souffrance semblent empruntés au marbre d’une Pietà de Michel-Ange, ils en ont l’auguste sublimité. Je ne parle pas de l’atroce crayon de David ; la passante sur la charrette, les yeux clos, rigide, déjà pierre tombale de son propre monument. Cette femme dont il faut bien dire qu’elle était peut-être la plus inculte de sa Cour, cette évaporée des jours heureux qui n’a jamais pu s’imposer la lecture d’un livre, qui a lassé la patience de tous ses maîtres, qui n’a entendu que des propos oiseux ou des conseils perfides, le malheur lui a tout appris, tout donné. Il a fait remonter en elle la noblesse de la race, le courage de sa mère, la force de pensée des grandes chrétiennes. Jamais la dure main de la douleur n’a plus cruellement pétri, plus magnifiquement métamorphosé un visage ; et, sous ce visage, l’âme qui l’éclairé d’une lumière épurée.

Il y aurait une bonne règle pour porter sur Marie-Antoinette des jugemens équitables : prendre aux différentes époques de sa vie le contre-pied du sentiment de ses contemporains, intervertir l’ordre de leurs sympathies et de leurs antipathies. — Ce fut d’abord chez tous une idolâtrie pour la Dauphine, pour la jeune Reine ; sa grâce était la plus forte ; comme le lui disait galamment Brissac, elle avait autant d’amoureux que de sujets. Les courtisans se détachèrent les premiers, c’est dans l’ordre : le retranchement de la Reine dans sa coterie lui aliéna tous ceux