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est de longue haleine. Jusqu’à la fin, elle fait plus que se soutenir : elle se développe, s’élargit et s’étale magnifiquement. Les périodes secondaires, et comme incidentes, dérivent de la principale avec autant d’aisance que de logique. Les deux vers :


Les grands deux sont comme un miroir ;
Ils reflètent toute ma joie,


sont rendus avec une simplicité, une pureté mélodique rappelant certains passages de Werther. Belles de composition et d’ordonnance, ces pages ne le sont pas moins d’éloquence et de lyrique emportement. Et leur beauté n’est pas seulement la beauté pour ainsi dire en soi : c’est la beauté, non plus selon la formule, mais selon l’idéal, ici pleinement réalisé, de M. Massenet. Cela n’est pas de Gounod : c’est plus nerveux ; ni de M. Saint-Saëns : c’est moins classique ; ni de tel autre confrère, que je ne veux pas nommer : c’est trop élégant et trop bien écrit. Ce rythme qui se balance et se soulève ; ces grandes houles et cet afflux de chaleur, de passion et de vie ; ce frisson vraiment nouveau, dont notre musique n’avait pas encore frémi, tout cela n’est qu’à M. Massenet ; cela est lui-même, lui seul, c’est ce qu’il y a de meilleur en lui. On peut ne trouver ailleurs qu’une dilution de son style et de son talent. On en respire ici l’essence même.


M. Maréchal (Alain) a dit cette admirable phrase avec l’ampleur et l’ardeur qu’elle exige. Des trois interprètes principaux de Grisélidis, il nous a le plus charmé. Mlle Bréval chante d’une voix lasse, un peu basse aussi parfois et constamment dolente. Enfin, tout le talent de M. Fugère ne réussit point à sauver un personnage qu’on souhaiterait de pouvoir écouter sans le voir. L’orchestre de l’Opéra-Comique est, sous la main de M. Messager, d’une souplesse et, pour ainsi dire, d’une plasticité remarquable. Il se meut, il respire, il vit. Et comme les instrumens sonnent dans cette salle ! Et comme y sonnent aussi les voix ! On ne saurait trop vanter la beauté pittoresque et surtout l’éclairage des décors. Le directeur de l’Opéra-Comique est le maître de l’heure ; que dis-je, de toutes les heures : du matin, du jour du soir et de la nuit. Il a fait de son théâtre le royaume non seulement des sons, mais de la lumière.


CAMILLE BELLAIGUE.