Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/747

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

compagnons de débauche, l’attaqua à main armée dans la cour extérieure de Saint-Cyr, où il le laissa pour mort. Après quoi, il s’enfuit, passa la frontière, se mit au service d’un prince allemand, changea deux fois de religion et eut beaucoup d’aventures. « On le revit longtemps après et bien changé, ajoutent les Mémoires des dames de Saint-Cyr. Il était de la compagnie du prince Ragotzki[1], et vint avec lui visiter notre maison. Madame nous le fit remarquer en nous disant qu’il avait le dessein d’entrer à la Trappe. »

Ainsi, à quinze ans, Madeleine de Glapion avait déjà ruiné l’existence d’un homme. C’est qu’elle n’avait pas seulement une voix pénétrante, « elle était grande et bien faite, fort blanche et un peu pâle, les yeux bleus pleins de feu et d’esprit, le nez bien fait, de belles dents... Toute sa personne était douce, tendre et souriante. » Ce qui attirait davantage encore, c’est qu’on la sentait désireuse de plaire, ardente aux affections, aimant non seulement à aimer, amans amare, comme disait saint Augustin, mais aussi à être aimée. Avec cette disposition dangereuse, Madeleine de Glapion, sans parens, sans protecteurs, aurait été exposée à de grands périls, surtout si Mme de Maintenon, comme cela lui aurait été facile, avait employé son crédit à lui procurer quelque charge de cour, car la vertu des jeunes filles n’était pas alors protégée par ces barrières un peu conventionnelles, que, dans notre société, le mariage abaisse si vite. Aussi l’on comprend que, sa chère Glapion ayant, à l’âge de vingt ans, manifesté le désir de demeurer à Saint-Cyr comme dame de Saint-Louis, Mme de Maintenon ait accueilli avec joie ces indices de vocation religieuse. Mais il faut lui rendre cette justice qu’elle ne fit rien pour lui dissimuler toute l’étendue des devoirs et des sacrifices que cette vocation comportait.

Dans un entretien particulier, qui a été conservé et qui méritait de l’être, elle la met en garde contre « cette grande tendresse de son cœur qui veut aimer et être aimé réciproquement. » « C’est une inclination bien douce, mais bien dangereuse, » lui dit-elle, et, sur les dangers de cette inclination, elle lui donne, en se plaçant au point de vue spécial de la vie religieuse, des avertissemens auxquels il ne serait pas besoin de changer grand’chose

  1. Le prince Ragotzki, d’une grande famille de Hongrie, ayant été proclamé prince de Transylvanie et ayant tout perdu dans la guerre de succession, s’était réfugié en France où il observait l’incognito pour ne rien exiger sur son rang.