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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/749

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aux classes. Mme de Glapion chercha alors un remède à ses agitations dans les exercices de l’esprit. Elle se passionna pour la géographie. Elle ne rêvait plus que cartes, mappemondes, récits de voyages et de missionnaires. C’était le moment où l’Asie s’ouvrait. Mais, dans ces récits mêmes, elle trouvait de nouveaux sujets de troubles, ne pouvant comprendre que la bonté de Dieu laissât tant de créatures dans les ténèbres et la souffrance, et ses supérieures durent lui interdire ces études périlleuses. « Croyez-vous pas qu’il n’y aura pas de géographes sauvés ? » lui écrivait plaisamment Mlle d’Aumale. Elle se rejeta alors avec plus de passion encore sur la musique, malgré l’avis de son confesseur, dont Mme de Maintenon ne comprenait pas d’abord la sévérité. Elle ne tarda pas à s’apercevoir que le bon prêtre pouvait avoir ses raisons.

Nivers, l’organiste de Saint-Cyr, avait composé, sur les paroles célèbres du Cantique des Cantiques : Adjuro vos, filiæ Jerusalem...[1], un motet qu’on chantait à la profession des religieuses. Il était même si beau et si tendre que Mme de Maintenon avait ordonné qu’il ne serait plus chanté. Il le fut pour la dernière fois à la profession de Madeleine de Glapion. Mais elle l’avait retenu, et, un jour, Mme de Maintenon fut surprise de la trouver au clavecin, chantant ce motet de sa belle voix qui allait au cœur, les yeux pleins de larmes. Sans se demander, comme le bon Lavallée, si, en chantant ce motet, elle pensait au page audacieux dont elle avait su le crime et la fuite, mais dont elle ignorait le sort, on peut cependant craindre qu’elle n’attachât pas à ces paroles passionnées un sens uniquement mystique. Ce qui manquait à la pauvre Madeleine cloîtrée, c’est un sentiment qui fait le support de la vie religieuse et aussi de la vie humaine : l’amour de Dieu. Elle aimait mieux les créatures que le Créateur. Comme elle s’en faisait reproche, elle cherchait à s’en punir par des austérités qu’on était obligé de lui défendre. Elle s’exagérait ses défauts, ses torts, ses péchés. Elle « s’aigrissait contre elle-même, » tombait dans le découragement, et la tristesse la conduisait à de nouvelles fautes. En un mot, c’était une âme en détresse.

Les âmes en détresse qui ne trouvent pas leur appui en Dieu ont besoin d’une main qui les soutienne. Il faut les aider à

  1. « Je vous conjure, ô filles de Jérusalem, si vous trouvez mon bien-aimé, de lui dire que je languis d’amour. » Cantique des Cantiques. Chap. V, v. 8.