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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/751

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des sentimens en apparence très différens. Mais elle en usait, ce qui est rare, avec désintéressement, pour le bien de celle dont elle était aimée et non pour sa satisfaction personnelle. Fallait-il l’arracher au chevet d’une religieuse, atteinte de la petite vérole, et à qui ses soins ne pouvaient plus être d’aucun secours : « Quittez-la, lui écrivait-elle, dès que vous ne pourrez plus lui être utile. Je vous le demande et je vous le commanderais si je vous croyais capable de refuser la prière que je vous en fais, » et comme, dans sa douleur d’avoir perdu coup sur coup deux religieuses à qui elle était particulièrement attachée, Mme de Glapion ne voulait point prendre pour sa santé les soins qu’on lui recommandait, elle essayait de nouveau d’agir sur elle par le sentiment : « Vous me renvoyez à Versailles, lui écrivait-elle, attristée du peu de raison que vous avez pour vous-même, en ayant tant pour les autres ? Vous ne voulez point obéir à votre mère et presque rien faire pour votre poitrine. Je suis tout de bon fâchée contre vous, et je ne reviendrai point que votre santé ne soit revenue. » Mais, peu de temps après avoir fait ainsi appel à sa tendresse, en la menaçant de la punir par la privation de l’objet aimé, elle lui écrivait presque un peu sèchement, en réponse sans doute à une lettre trop passionnée : « Ne faites rien pour moi, faites tout pour Dieu. »

Dans cette relation si constante et si touchante, qui dans une vie si remplie lui dérobait tant d’heures, Mme de Maintenon se préoccupe avant tout de détruire chez la jeune religieuse (au plus fort de la correspondance, Mme de Glapion n’avait pas vingt-cinq ans) le regret du monde dont elle la sent envahie. Elle lui dépeint avec vivacité les périls qui l’auraient assiégée : « Vous auriez eu plus de plaisir dans le monde, mais, suivant toute apparence, vous vous y seriez perdue. Racine vous aurait divertie, et vous aurait entraînée dans la cabale des Jansénistes. M. de Cambrai vous aurait contentée et renchéri même sur votre délicatesse, et vous seriez quiétiste. Jouissez donc de votre sûreté. » Mais c’est surtout par de fréquens récits de sa propre existence qu’elle s’efforce de détruire les regrets inavoués du monde et de la Cour qu’elle devine chez Mme de Glapion. De là ces « entretiens d’une confiance intime » (c’est le titre qu’ils portent) qu’elle ne croyait pas destinés à la postérité, et qui, complétant et corroborant le témoignage de Saint-Simon, nous montrent combien assujettie et harassante était sa vie. Il n’est pas un écrivain s’étant