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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/777

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Elle retira une de ses mains pour se fermer la bouche, mais la replaça vite sur l’œil de Clarke.

– Et de plus je vous embrasserai dix mille, cent mille fois ! Oh ! pour le coup, je sais qui c’est ! La Belle aux cheveux d’or, ma petite chatte blanche, Kitty Clarke ! – Enfin !…

Et aussitôt les bras passèrent de la tête aveuglée au cou qu’ils étranglèrent ; la petite fille, avançant sa tête blonde, commençait de s’acquitter en baisers que Livingstone entendit. Maintenant Clarke parlait trop bas pour qu’il pût saisir les paroles.

– Oh ! papa ! s’écria la petite fille, d’un ton de désappointement inexprimable. Non, papa, il faut que vous veniez, vous avez promis. Ça me fait tant de peine, papa, moi qui avais mis de côté tout mon argent pour que vous veniez avec moi. Oh !… laissez-moi lui demander de vous permettre de venir !

Mais le père, s’opposant à cette idée, reconduisit l’enfant jusqu’à la porte et lui recommanda de l’attendre en bas.

Livingstone, pour ne pas trahir sa présence, sortit par une autre porte qui ouvrait de son cabinet sur l’escalier de cette haute maison aux nombreux étages, un des plus beaux office-buildings de la cité. Il n’avait plus la moindre envie de revoir Clarke et se sentait singulièrement mal à l’aise.

Avant d’atteindre la rue, il passa devant la petite fille qui, tout en attendant, comme elle en avait reçu l’ordre, essuyait son pauvre visage baigné de larmes. Elle lui jeta un regard de haine.

– Petit serpent ! songea-t-il. Moi qui fais vivre sa famille ! Elle me mettrait en pièces si elle pouvait. Voilà l’ingratitude humaine.

La neige avait cessé. Il voulut marcher, ayant mal à la tête. Un peu d’exercice lui ferait du bien vraiment il avait trop travaillé en ces derniers temps et il s’en ressentait. N’importe, il valait tout de même… Le chiffre exact se dessina devant lui sur la neige. Il le voyait partout.

– Quelle sottise j’ai faite de ne pas rentrer en voiture ! dit-il après avoir suivi, l’espace d’un quart d’heure à peine, la rue qu’encombraient d’innombrables badauds. Les uns se répandaient comme un flot mouvant, les autres s’arrêtaient devant des boutiques illuminées où les jouets les plus nouveaux, les inventions les plus savoureuses en fait de sucreries, apparaissaient derrière les glaces. Malgré le temps de neige, toute la rue était