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citation tirée d’un des écrivains d’édification du protestantisme. C’est un fait révoltant, dit-il, de voir Jung Stilling, qui se prétend si pieux et si chrétien, nous présenter froidement la comparaison suivante dans ses Scènes du royaume des esprits. Il s’agit d’une apparition fantastique.

« Soudain, écrit Stilling, le squelette se contracta jusqu’à présenter la figure d’un petit nain, qui inspirait une indicible épouvante. Telle une grosse araignée, placée au foyer d’une lentille tournée vers le soleil, se réduit à rien et fond sur elle-même, tandis que son sang éthériforme bout en sifflant sous les rayons brûlans. »

Ainsi donc, poursuit alors le philosophe de Francfort, cet homme de Dieu a exécuté en personne une pareille abomination, ou, tout au moins, il l’a considérée avec le calme d’un observateur attentif, ce qui revient au même en pareil cas ; et il y a trouvé si peu de chose à reprendre, qu’il nous la raconte en passant, avec la plus grande bonhomie. Tels sont, aux yeux de Schopenhauer, les effets des leçons de la Genèse, et en général de toute la conception juive de la nature. Et, après avoir couvert d’anathèmes la vivisection, il conclut par cette boutade que, à son avis, le plus sérieux bienfait des chemins de fer, c’est d’avoir adouci à des millions de chevaux de trait leur pénible existence.

— Les personnages bibliques ne sont pas toujours si impitoyables, objectai-je, et l’ânesse de Balaam me paraît avoir eu le dernier mot dans son différend avec son maître. Quant au christianisme, malgré le crime de Jung Stilling, il me semble superflu de le défendre contre le reproche de barbarie envers les animaux. Une religion qui compte parmi ses saints François d’Assise, l’ami des loups, des cigales et des petits oiseaux, peut braver les sophismes, les distinctions subtiles, et les citations plus ou moins tronquées. Je me souviens qu’un de mes compatriotes[1] a écrit jadis qu’il faudrait tout un volume non pas pour analyser, mais seulement pour indiquer par leur titre les innombrables légendes où les animaux figurent comme acteurs, à côté des moines et des saints du moyen âge, offrant de gracieux symboles de cette charité merveilleuse que les légendaires et les poètes chrétiens prêtent aux bêtes pour corriger les hommes

  1. Louandre. Épopée des animaux, 1854.